SDF morts de froid : la responsabilité de l’État en question

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POLÉMIQUE - Alors que six SDF ont payé de leur vie la vague de froid qui sévit en France, des voix s’élèvent pour critiquer la gestion de l’hébergement d’urgence.

Au moins six sans-abri sont morts depuis samedi à cause du froid. Une "sinistre litanie", selon la fondation Abbé Pierre, qui relance la question de la responsabilité des pouvoirs publics.

Les chiffres de l'Insee sont implacables : en 11 ans, le nombre de SDF a augmenté de 44% en France. En 2012, 111.700 personnes en France étaient sans domicile fixe. Selon le collectif "Les Morts de la rue", 454 sans-abri sont morts en France en 2013.

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# Qui est compétent en matière d’hébergement d’urgence ?

Depuis plusieurs décennies, l’hébergement d’urgence des sans-abri relève de la compétence de l’Etat. "Plus qu’une compétence, c’est une obligation inscrite dans le code social", pointe Florent Gueguen, délégué général de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars).

Pourquoi l’Etat est-il en première ligne dans ce domaine ? D’abord, parce qu’étant garant de la solidarité nationale, c’est à ses services qu’il revient de coordonner la lutte contre les grandes exclusions sociales et, donc, la prise en charge des personnes SDF. Et pourquoi l’Etat plutôt que les collectivités locales ? Tout simplement parce que les sans-abri ne peuvent être rattachées à un territoire local.

Cela n’empêche pas l’Etat de s’appuyer sur les grandes associations nationales de solidarité qu’il soutient financièrement. Au fil des années, certaines de ces associations, sont même devenues des institutions du secteur.

Et dans le gouvernement actuel, qui est en charge de l'hébergement d'urgence des SDF ? Cette compétence relève de la compétence du ministère du Logement piloté par Sylvia Pinel. Interrogée sur Europe 1 mardi, la ministre a rappelé que "le gouvernement depuis 2012 n'a cessé de renforcer les moyens de l’hébergement d'urgence, d'essayer de pérenniser, de trouver des solutions alternatives satisfaisantes, tout au long de l'année et pas uniquement, pendant la période hivernale". Mais cela "ne suffit pas à répondre à l'ensemble des demandes", reconnaît-elle. Même si elle déplore les morts de SDF, elle souligne tout de même que "ces dernières semaines, le nombre de places n'a cessé d'augmenter" grâce à une collaboration avec les préfets et les associations. Ce travail doit se poursuivre, selon elle, car personne "ne peut se satisfaire de cette situation là".

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# La "gestion au thermomètre" de l’Etat est-elle en cause ?

"Si on en est là, c’est à cause de la ‘gestion au thermomètre’ des pouvoirs publics", dénonce Florent Gueguen, délégué général de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars). "Plusieurs préfets ont attendu le dernier moment pour ouvrir des structures d'hébergement d'urgence", regrette-t-il.

Les préfectures déclenchent, en effet, le plan "Grand Froid", qui permet l'ouverture de places supplémentaires, selon des critères précis de températures ressenties. Pour Florent Gueguen, c’est précisément la cause du "manque d'anticipation et de préparation de la part du gouvernement".

Autre conséquence dramatique de cette "gestion au thermomètre", selon lui : le refus des SDF d’être hébergés ainsi, quitte à risquer leur vie. Plusieurs SDF morts depuis samedi avaient ainsi refusé, malgré le froid, une place en hébergement d’urgence. "Comme l’ouverture de l’hébergement d’urgence est conditionnée par le froid, ils savent qu’ils vont se retrouver à la rue dès que la température remonte. Ils n’ont aucune visibilité", explique le délégué général de la Fnars.

Le gouvernement a fait des annonces sur ce point ces derniers jours : la ministre du Logement Sylvia Pinel a, ainsi, demandé aux préfets et aux associations que les places d'hébergement d'urgence, ouvertes pendant la période hivernale, ne soient pas fermées avant la fin de la trêve fin mars, "même en cas d'amélioration des températures".

Cet engagement sera-t-il tenu ? "Espérons", commente Florent Gueguen. Pour lui, cela reste néanmoins une solution "précaire", "discontinue" et "court-termiste". "Et au printemps, on renvoie tout le monde massivement dans la rue ?", fait-il mine de s’interroger en appelant à s’intéresser dès aujourd’hui à la prise en charge sur le long terme des personnes hébergées.

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# L’argent est-il utilisé à bon escient ?

Mardi matin sur l’antenne d’Europe 1, Jean-Baptiste Eyraud, le porte-parole de Droit au Logement (DAL) a, lui, poussé un coup de gueule contre l’argent utilisé à mauvais escient : "ce qui me révolte, c’est qui il y a les moyens de régler les problèmes. On fout du fric par les fenêtres et on court après l’urgence parce que les problèmes ne sont pas réglés".

"On fait de la solidarité à fond les gamelles parce qu'il fait froid et qu'il commence malheureusement à y avoir des hommes qui meurent de froid dans les rues", a-t-il dénoncé regrettant, lui aussi, des mesures ponctuelles de solidarité sans suivi sur le long terme.

Eyraud : "On fout du fric par les fenêtres ! On...par Europe1fr

Pour lui, l’argent est mal utilisé notamment du fait de la politique du recours à l’hôtellerie pour parer à l’urgence. "En France aujourd’hui, lorsque l’on met des familles avec enfants dans des hôtels pendant des semaines, voire des mois voire, parfois pendant des années, ça coûte cher et en plus  pour des gens c’est de la ‘malvie’". De fait, 170 millions d’euros sont consacrés chaque année à payer des chambres d'hôtel pour des sans-abri.

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# Quels sont les leviers d’action du gouvernement ?

Chaque association a ses idées sur le sujet. Du côté de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars), Florent Gueguen, appelle déjà à court terme à ouvrir toutes les places disponibles en hébergement d’urgence "parce que je ne suis pas sûr que c’est le cas dans tous les départements".

Il aspire aussi à "faire comprendre au gouvernement" que le logement adapté ne coûte pas plus cher que l’hôtel. Qu’entend-il par là ? "Une politique de paiement des loyers dont l’Etat se porterait gérant et qui seraient gérés par les associations avec un accompagnement social des bénéficiaires".

Comme d’autres associations, la Fnars appelle aussi, depuis 2012, à une loi de programmation de logements très sociaux et d’hébergements pérennes.

Le Dal, pour sa part, appelle à en finir d’urgence avec le recours à l’hôtellerie quitte à passer par la réquisition de logements vacants. "En Angleterre, ils ont interdit le logement hôtelier au-delà de cinq semaines. Passé ce délai, ils s’obligent à mettre en place une solution de logement temporaire. Ici, en France, l’hébergement à l’hôtel dure indéfiniment que la France a jamais compté autant de logement vacants. Il y a 2.6 millions de logements vides dans notre pays", a fustigé Jean-Baptiste Eyraud mardi matin sur Europe1 en appelant une loi de réquisition. "On pourrait commencer par ce qui appartient à l’Etat et aux pouvoirs publics", a-t-il suggéré.