Se reconvertir dans le vin, entre "aventure familiale" et "éloge de la patience"

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Se lancer dans le métier de vigneron nécessite de nombreuses années d'efforts et de concessions. © GEORGES GOBET / AFP
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C'est un rêve que partagent de nombreux Français : devenir vigneron et produire son propre vin. Un projet de vie séduisant mais qu'il ne faut pas prendre à la légère.
LE TOUR DE LA QUESTION

En France, pays du vin, il y a ceux qui aiment déguster les grands crus et ceux qui les produisent. Mais il arrive que parfois ces deux catégories se croisent, quand des néophytes décident, parfois du jour au lendemain, se lancer dans la grande aventure du raisin. Posséder sa propriété, voir grandir la vigne, cueillir les grappes mûres, laisser vieillir le précieux alcool : un rêve sur le papier, qui cache une réalité faite d'efforts, de concessions et de patience. C'est par exemple le cas de Laurent, qui a raconté son histoire, vendredi matin, chez Wendy Bouchard, sur Europe 1.

Un "travail de patience et d'humilité". Laurent a 52 ans. Après un début de carrière "sportif", il a pris en main une entreprise familiale qu'il a transformée en PME de 80 personnes. Jusqu'à sentir, à 42 ans, qu'il était temps de "prendre un autre chemin" et de bifurquer vers le métier de vigneron. "Je ne connaissais pas grand-chose au vin. J'étais passionné de ma cave, mais de là à gérer d’un domaine viticole… C’est une autre audace", raconte-t-il à chez Wendy Bouchard. Huit ans après avoir pris en main un domaine de 36 hectares, dont 26 de vignes, près de Bordeaux, Laurent et sa famille produisent 150.000 bouteilles à l'année et "commencent à en vivre".

Désormais vigneron, Laurent n'a pourtant "pas fait d'études" au moment de sa reconversion. "Mon professeur, c’est mon équipe technique qui m’apporte son expérience. Ensemble on développe un savoir-faire commun", explique-t-il. Après des années d'efforts, il estime que son changement de vie valait totalement le coup. "On a fait des investissements ambitieux, on est quand même près de Bordeaux, dans une appellation de Pessac-Léognan. C'est un travail de patience et d’humilité. On est sur un chemin de vie qui nous structure tous", assure le "néo-vigneron" qui s’investit "totalement dans la propriété" avec sa femme et ses trois fils.

>> De 9h à 11h, c’est le tour de la question avec Wendy Bouchard. Retrouvez le replay de l’émission ici

Vigneron, un métier de décision. Un parcours de reconverti qui "touche" Antoine Pétrus, meilleur sommelier de France en 2011 et directeur général et directeur des achats vins et spiritueux du restaurant Le Taillevent, à Paris. "Tous les jours, on a des contacts avec ces néo-vignerons. On doit être pour eux des ambassadeurs, pas seulement mettre en avant des grandes maisons", estime-t-il, toujours chez Wendy Bouchard. "Épauler, conseiller et mettre en valeur des vignerons qui viennent nous voir au bout de leur deuxième cuvée, ça fait aussi partie de notre métier. Ça me touche d’autant plus quand ce sont des gens qui ont ces parcours multiples."

Entendu sur europe1 :
La vigne et le vin, c’est comme un enfant : plus on donne d’amour et de respect, plus il le retranscrit. À partir du moment où vous respectez la terre, vous l’écoutez et vous respectez les cycles, le vin ne peut que mieux se porter

Ces conseils sont précieux pour Laurent et pour tous ceux qui, comme lui, décident un jour de devenir vigneron. Ce n'est pas un métier comme un autre, "c'est presque de l'art", commente Jean-Robert Pitte, éminent géographe, spécialiste du paysage et de la gastronomie, invité, lui aussi, d'Europe 1. "Un grand vigneron, c’est à la fois un grand agriculteur qui sait travailler la terre et la plante, et un grand vinificateur qui maîtrise les fermentations, l’élevage. Par exemple, le choix de la barrique et du bois est déterminant. C’est un métier de décision", détaille-t-il.

Le vin bio, une tendance de fond. Non content de se lancer dans le vin, Laurent s'est également mis au défi de la viticulture naturelle. "Dès que je suis arrivé, en 2010, j’ai converti mon vignoble à haute valeur environnementale. On a supprimé les herbicides et les fertilisants chimiques et on a ramené des chevaux de trait sur la propriété. Je crois à ce retour au source", soutient-il. Un choix à double tranchant car, si le vin bio attire de plus en plus les clients, cette démarche rend la vigne plus vulnérables aux caprices de la nature.

"La vigne et le vin, c’est comme un enfant : plus on donne d’amour et de respect, plus il le retranscrit. À partir du moment où vous respectez la terre, vous l’écoutez et vous respectez les cycles, le vin ne peut que mieux se porter", vante Antoine Pétrus. "C’est bien de tendre vers le bio mais il faut rester prudent" tempère Jean-Robert Pitte. "Un vin nature, sans souffre du tout, est quand même très fragile. Il y a beaucoup d’accidents. Et après, on a des vins qui ont un goût de serpillière alors qu’ils sont vendus avec des étiquettes somptueuses, sous prétexte qu’ils sont natures", alerte le géographe.

Son conseil, à tous les vignerons, néophytes ou non : "le vrai critère est la qualité olfactive et gustative du vin". Jean-Robert Pitte appelle à ne pas céder sans réfléchir à la mode du bio. "Il y a un moment où il faut être raisonnable. Il y a une partie poétique dans le vin mais il y a aussi de la science. Il ne faut pas ériger le bio en religion", invite-t-il. Le mot de la fin a des airs de maxime : "La chimie n’est pas mauvaise, le problème c’est la dose".