François Fillon peut-il vraiment miser sur un "vote caché" ?

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François Fillon espère un sursaut en sa faveur dans les urnes. © MARTIN BUREAU / AFP
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Donné seulement troisième dans les enquêtes d'opinion, François Fillon mise sur un "vote caché" pour se qualifier pour le second tour. Mais rien ne prouve que ce phénomène existe bel et bien.

"Non seulement je suis serein, mais je pense que je vais gagner cette élection." Cette phrase, prononcée par François Fillon jeudi sur RTL, n'a rien de bien original en pleine campagne présidentielle. Aucun candidat, même le plus à la traîne dans les sondages, ne se voit pas grand vainqueur du scrutin. Même Jean Lassalle, crédité d'environ 1% des intentions de vote, estime que "le second tour est presque écrit, Marine Le Pen contre [lui]".

Les fillonistes espèrent. Mais François Fillon a, lui, un argument supplémentaire : celui du "vote caché". Selon le candidat LR et ses soutiens, en effet, les enquêtes d'opinion qui ne le placent qu'en troisième position, derrière Emmanuel Macron et Marine Le Pen, se trompent lourdement. "Les gens n'ont pas forcément envie de dire qu'ils votent François Fillon, même si leur vote [lui] est acquis", a expliqué Valérie Boyer, fidèle parmi les fidèles, sur BFM TV. "On a déjà vécu ces situations. Si on avait écouté les sondages, on aurait arrêté la campagne des primaires [sic]. Or, il s'est avéré que François Fillon a dépassé tous les pronostics des sondeurs."

L'argument Filteris. Les fillonistes arriment leur espoir à plusieurs éléments. Filteris, d'abord, une société canadienne qui mesure le "poids politique numérique" des candidats à la présidentielle, en passant au peigne fin le web et les réseaux sociaux. L'algorithme développé par l'entreprise donne François Fillon en seconde position, juste derrière Marine Le Pen mais devant Emmanuel Macron. Et ses concepteurs assurent qu'il existe une corrélation entre ce "poids numérique" et les résultats électoraux. Filteris avait déjà donné François Fillon qualifié pour le second tour de la primaire de la droite, quand les instituts de sondage traditionnels n'ont rien vu avant les dernières heures de campagne. De quoi rassurer l'équipe du candidat LR.

Volatilité de l'électorat. Autre raison d'espérer : la volatilité de l'électorat d'Emmanuel Macron. Les vagues de sondages successives montrent que les électeurs ne sont toujours pas certains de leur choix, notamment ceux qui déclarent qu'ils iront voter pour le fondateur d'En Marche!. Dans la dernière enquête réalisée par Ipsos pour le Cevipof et Le Monde, la moitié de ces personnes dit pouvoir encore changer d'avis. Et François Fillon compte bien sur un retournement de dernière minute en sa faveur.

"Cela fait partie du folklore électoral". Reste que la théorie du "vote caché" s'est souvent heurtée, par le passé, à la réalité. "Affirmer qu'il y a un vote caché fait partie du folklore électoral. La droite en parlait déjà en 1981, lorsque les sondages donnaient François Mitterrand devant Valéry Giscard d'Estaing", rappelle Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifop. "Elle prédisait un sursaut dans l'isoloir." Qui ne s'est jamais produit. Nicolas Sarkozy avait aussi brandi l'argument du "vote caché" en 2012, contre François Hollande, puis pour la primaire de la droite. "Mes salles sont bondées, au nord, au sud, à l'est, à l'ouest", se vantait-il en octobre auprès du JDD. "J'ai le sentiment d'être en harmonie avec le mood du public. Le vote caché est plus sur moi que sur Marine Le Pen." L'ancien chef de l'État avait été balayé dès le premier tour.

" Affirmer qu'il y a un vote caché fait partie du folklore électoral. La droite en parlait déjà en 1981, lorsque les sondages donnaient François Mitterrand devant Valéry Giscard d'Estaing. "

Improbable "vote honteux". Pourrait-il y avoir un vote "honteux", qui n'ose pas affirmer sa préférence, ainsi que l'affirme Valérie Boyer ? Frédéric Dabi n'y croit guère. "Cela se disait à l'époque de Jean-Marie Le Pen, et c'était vrai. Les sondages se faisaient alors par téléphone. Mais aujourd'hui, ils sont réalisés en ligne." Sans le contact avec un opérateur, les sondés n'ont, selon le directeur adjoint de l'Ifop, aucun mal à choisir n'importe lequel des candidats, qu'il soit d'extrême droite ou mis en examen. Quant à Filteris, l'algorithme est loin d'être infaillible. Et donne Marine Le Pen, François Fillon et Emmanuel Macron dans un mouchoir de poche.

"C'est l'encéphalogramme plat". En outre, Frédéric Dabi estime que le "vote caché" ne le reste jamais vraiment. Pour le second tour de la présidentielle 2012 par exemple, Nicolas Sarkozy avait été conforté dans l'idée qu'il était sous-estimé dans les sondages parce qu'il n'avait finalement été distancé par François Hollande que d'un point, au lieu des quatre annoncés. "Mais on avait vu une dynamique dans les enquêtes", avance le sondeur. Même chose pour l'incroyable remontada de François Fillon pour le premier tour de la primaire. Si les sondages n'ont pas capté toute l'ampleur du mouvement, "on a bien enregistré une remontée dans la dernière semaine". Impossible d'en dire autant pour la présidentielle 2017. "Là, c'est l'encéphalogramme plat."

Un vote "perturbé". Plus que "caché", le vote est "perturbé", analyse Frédéric Dabi. "On peut se demander où est la droite. François Fillon n'est qu'à 18% aujourd'hui, alors que l'électorat de droite pesait 28% lors des régionales de 2015." Une partie s'est tournée vers Marine Le Pen, une autre vers Nicolas Dupont-Aignan, une troisième vers Emmanuel Macron. "C'est un vote qui peut revenir", estime Frédéric Dabi. Qui rappelle toutefois que, semaine après semaine, l'électorat du fondateur d'En Marche! devient plus sûr de son choix.