Les PME, elles aussi adeptes de l’optimisation fiscale ?

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Les petits patrons aussi peuvent bénéficier de systèmes d'optimisation fiscale. © JOHN THYS / AFP
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Clément Lesaffre , modifié à
Le procès d’un spécialiste français de l’évasion fiscale pour petits porteurs et PME rappelle que l’évasion, et dans certains cas, la fraude fiscale, ne sont pas réservées aux multinationales.

Il promettait "l’évasion fiscale pour tous" : Nadav Bensoussan, un financier français de 38 ans, est jugé à partir de lundi à Paris (jusqu’au 30 mars) pour fraude fiscale, blanchiment de ce délit, participation à une association de malfaiteurs, escroquerie en bande organisée et travail dissimulé. A la tête de l’entreprise France Offshore, Nadav Bensoussan se vantait, dans les médias, de pouvoir réduire les revenus imposés d’une entreprise en quelques clics. Pour des tarifs avantageux – quelques milliers d’euros, il transférait une partie du chiffre d’affaires de ses clients vers la Lettonie, les Iles vierges britanniques, Hong-Kong, Malte, Panama, Gibraltar, les Seychelles…

Légal… ou pas. Les clients de Nadav Bensoussan étaient pour beaucoup des petits patrons désireux de "payer des impôts, mais peu, et ailleurs", comme il l’expliquait lui-même dans un documentaire diffusé sur France 5 en 2011, année de lancement de la procédure judiciaire à son encontre. Selon le financier, tout était "légal". Sauf que certains de ses clients n’étaient pas de simples fraudeurs. France Offshore aurait aidé des délinquants financiers, ce dont Nadav Bensoussan assure ne pas avoir été mis au courant.

Des centaines de millions d’euros. Face au manque de coopération de certains pays et à la disparition de documents informatiques, les enquêteurs n’ont pu établir précisément les montants traités par France Offshore. Toutefois, les juges d’instruction évoquent une somme d’argent blanchi de 760 millions d’euros en une dizaine d’années d’activité. Quand on sait qu’il s’agit là de coiffeurs, de sociétés informatiques, d’entreprises d’import-export ou de médecins, la somme a de quoi surprendre. D’autant plus que l’évasion fiscale est généralement associée aux grandes multinationales.

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Entendu sur europe1 :
La France est un paradis fiscal pour les petites entreprises !
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Evasion, optimisation ou fraude ? En réalité, "les PME font de l’optimisation fiscale à haute dose. Pire – ou mieux selon le point de vue – que les multinationales", assure Paul Duvaux, avocat fiscaliste parisien. "Simplement, il faut différencier évasion fiscale et fraude fiscale. L’évasion fiscale peut être légale, c’est ce qu’on appelle optimisation fiscale. C’est ce que font une majorité des PME concernées alors qu’elles rechignent à frauder". En revanche, concernant l'évasion en tant que telle, "la problématique est plus infime", nuance Manon Aubry, responsable de plaidoyer sur les questions de justice fiscale et d’inégalités pour Oxfam France.

La France, un paradis fiscal ! Paul Duvaux conseille uniquement des PME et son point de vue tranche avec le discours politique et économique traditionnel : "la France est un paradis fiscal pour les petites entreprises !", clame-t-il. D’abord, il y a le taux réduit d’impôt sur les sociétés pour les PME à 15% (contre 33,3% pour le taux normal) sur les premiers 38.120 euros de chiffre d’affaires. Ensuite, il y a tout un tas de niches fiscales avantageuses qui permettent de réduire ses impôts. "Les petites entreprises qui font de l’optimisation abusent, entre autres, des crédits d’impôt", affirme Manon Aubry.

Pour bien se rendre compte de la réalité de l’évasion fiscale des PME, l’avocat fiscaliste donne un exemple concret : "Si vous revendez votre entreprise alors que vous êtes à moins de deux ans de votre retraite, la plus-value que vous réalisez n’est pas taxée. Donc moi je conseille à mes clients qui veulent revendre à 60 ans et partir à la retraite à 65 ans, d’attendre trois ans de plus pour empocher la totalité de la plus-value. C’est bien une forme d’évasion fiscale".

Des systèmes différents. En ce qui concerne l’évasion fiscale, les PME sont dans un autre monde que les multinationales. "Les grosses entreprises ont leurs propres avocats fiscalistes qui passent des heures à élaborer des montages complexes. Elles jouent également sur les différences de juridictions entre les pays pour faire en sorte que leurs flux financiers passent par les bons pays sous la bonne appellation. Le monde est le terrain de jeu fiscal favori des multinationales", analyse Paul Duvaux. Evidemment, les PME ne bénéficient pas de la même logistique.

" Les patrons de PME veulent payer moins d’impôts sans prendre de risques "

Mais ça ne veut pas dire que l’évasion fiscale pratiquée par les PME est simpliste pour autant. "Au contraire, c’est très sophistiqué. Notamment car elles prennent en compte à la fois les impôts et les cotisations sociales", précise Paul Duvaux. Toutefois, l’avocat fiscaliste ne manque jamais de rappeler à ses clients qu’il y a des limites à ne pas franchir. "Il ne faut pas résonner uniquement en pensant : 'Je vais m’en mettre plein les poches'. Si vous échappez aux cotisations sociales, alors vous ne pouvez pas prétendre aux droits qui vont avec".

Payer moins sans prendre de risques. Les patrons de PME sont "relativement éduqués" sur la question de l’optimisation fiscale, affirme Paul Duvaux. "Ils veulent payer moins d’impôts mais ne souhaitent pas prendre de risques. Ils ne sont pas intéressés par la fraude fiscale", précise-t-il. Par conséquent, les opérations d’optimisation réalisées par les petites entreprises "ne sont pas forcément spectaculaires". Mais les montants peuvent être importants, de 10 à 35% des revenus générés par une PME. "Il ne faut pas oublier qu’une PME peut avoir une valeur énorme. Donc, en cas de cession, la plus-value peut également atteindre un montant important".

Une véritable "industrie". De quoi ouvrir l’appétit de certains patrons de petites sociétés, séduits par une pratique devenue une véritable "industrie", comme la décrit Manon Aubry. "Il y a chaque année plus de publicités pour inciter à l’optimisation fiscale sur Internet, y compris sur Google. Résultat, quand on regarde les listings des derniers scandales d’évasion fiscale, on s’aperçoit qu’il y a beaucoup de particuliers lambda et de PME pas forcément mirobolantes".

Souvent, ces publicités survendent les possibilités offertes par les fiscalistes. "Certains dirigeants de PME veulent le gain et la sécurité en même temps mais il n’y a pas de schéma magique pour avoir les deux", nuance Paul Duvaux. "Il y a toujours un moment où il faut passer à la caisse. D’ailleurs, quand ça a l’air magique, c’est que c’est dangereux. Ce qui n’empêche pas qu’il y a beaucoup d’astuces étonnantes pour défiscaliser…" Le fiscaliste n’en dira pas plus.

" Le seuil d’entrée pour faire de l'évasion fiscale est plus élevé qu’avant "

Peu d’offshore. Quant à l’offshore, la spécialité du promoteur du "paradis fiscal pour tous" Nadav Bensoussan, il arrive effectivement que des PME y soient initiées, à l’instar des multinationales. "C’est surtout le cas d’entreprises qui sont implantées dans d’autres pays et qui peuvent créer des filiales destinées à l’évasion fiscale dans lesdits pays", explique l’avocat Paul Duvaux. Un phénomène qui concerne donc finalement "assez peu de PME", complète Manon Aubry d’Oxfam.

La majorité des PME se contentent donc de faire de l’optimisation fiscale en France même. "Si vous avez des activités à l’international, le fisc est plus regardant. C’est difficile pour l’administration de tout contrôler alors elle se concentre sur les entreprises qu’elle a le plus de chances de coincer", rappelle Paul Duvaux. Celles qui se risquent à l’international sans avoir de filiales réelles s’exposent plus que les autres selon Manon Aubry. "Elles sont contraintes d’avoir recours à un montage offshore classique qui est plus facile à déceler. Ce n’est pas un hasard si, in fine, les facilitateurs comme Nadav Bensoussan passent devant la justice", explique la spécialiste d’Oxfam.

Commencer par le black. Par ailleurs, les petites entreprises n’ont pas forcément intérêt à s’éparpiller aux quatre coins du monde quand elles disposent en France d’outils relativement simples pour échapper aux taxes et impôts en France. "En pratique, certaines PME qui ont une clientèle de particuliers réalisent aussi du chiffre d'affaires non déclaré. C'est répréhensible mais cela reste significatif", rappelle Paul Duvaux. "Et ça, une multinationale ne peut pas le faire".

Plus aussi facile qu'avant. Mais pour Manon Aubry d’Oxfam, l’évasion fiscale est devenue plus compliquée à mettre en place pour les plus petits "joueurs" : "Les nombreux scandales ont renforcé les coopérations internationales. Le secret bancaire a été levé progressivement dans plusieurs pays ces dernières années. Pour fuir l’impôt, il faut désormais être payé à payer plus cher. Le seuil d’entrée est plus élevé qu’avant".