Accros au smartphone, ils sont incapables de raccrocher en vacances

Selon une récente étude, un Français sur deux n'envisage pas de partir en vacances sans rester connecté.
Selon une récente étude, un Français sur deux n'envisage pas de partir en vacances sans rester connecté. © JOSEP LAGO / AFP
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Mathilde Belin , modifié à
Connectés toute l’année, de nombreux Français ont dû mal à raccrocher leur smartphone pendant les vacances. Un comportement à la limite de l’addiction, qui soulève quelques crises de nerfs dans l'entourage.

Elle s’avoue esclave de son téléphone : dès le lever, Juliette consulte son précieux écran. Twitter, Instagram, conversations de groupe, cette maman de 45 ans pianote plus vite que son ombre. "Je suis complètement addict ! Si on m’enlève mon téléphone, on m’enlève tout ! Je me le suis déjà fait voler et j’en ai été malade, c’était la fin du monde. Et si je l’oublie – ce qui arrive rarement – je me sens perdue", confie cette Parisienne actuellement en vacances en Italie. Mais Juliette se donne une (bonne) excuse : "Je contacte d’abord mes trois filles qui sont en vacances avec leur père, je veux avoir de leurs nouvelles."

" Le smartphone comme un doudou "

Comme Juliette, un Français sur deux n’envisage pas d’être en vacances sans rester connecté, selon une étude KantarTNS pour Orange parue début juillet. Un chiffre en deçà de la réalité, estime le professeur en psychiatrie et addictologie Michel Reynaud, fondateur du Fonds Actions Addictions. "Le smartphone est devenu un complément indispensable des choses importantes de notre vie : on a toutes les informations, toutes nos relations, notre travail", analyse-t-il pour Europe1.fr. Au point que le Wifi est devenu un critère de choix de son lieu de villégiature.

"Le smartphone concrétise toutes les réponses du cerveau auquel il est formaté : il donne de l’information, de l’excitation, des liens amicaux, de la valorisation avec les 'likes'… C’est devenu une prothèse du fonctionnement cérébral, comme un doudou, avec cette dimension de satisfaction", complète le psychiatre.

Une observation que ne pourrait pas contester Julien, 30 ans, qui nous "textote" depuis Monaco : "Je suis beaucoup sur Instagram pour poster des photos. J’aime bien partager ce que je fais avec mes amis, parfois les faire 'rager' si je suis dans de chouettes endroits, et ces photos font aussi offices de 'cartes postales 2.0'." Le trentenaire refuse toutefois de s’avouer addict, et préfère se dire "assidu", non sans un petit smiley : "J’ai pleinement conscience que je suis trop sur mon téléphone en vacances, mon ex’ me l'a suffisamment reproché !"

" Je lui ai enlevé son téléphone, elle s’est mise à pleurer "

En vacances dans le pays basque, Karine n’a pas de mal à affirmer que ses deux filles de 13 et 15 ans sont prises d’addiction. "Là, elles lisent un livre sur la plage mais le portable n’est pas bien loin. C’est la première chose qu’elles font en se levant et la dernière en se couchant", regrette cette maman de 43 ans. Selon elle, ses deux adolescentes "likent" et "textotent" facilement huit heures par jour. Et leur enlever le téléphone des mains revient à provoquer une véritable crise de nerfs, comme ce soir de juillet où la famille a assisté au spectacle du Puy du Fou en Vendée : "Je leur ai confisqué le téléphone parce que je ne voulais pas qu’elles regardent le spectacle à travers leur écran. Ma fille de 15 ans s’est mise à pleurer… Alors que ce n’était pas une punition, j’ai essayé de lui expliquer mais elle ne l’a pas compris", raconte Karine.

" Parents et enfants déposent leur téléphone dans une panière "

Cette mère en congé maternité a tout de même imposé une restriction : pas de téléphone à table. Même interdiction du côté de chez Juliette : "Lorsqu’on passe à table, parents et enfants déposent le téléphone dans une panière spéciale. C’est devenu un rituel et comme ça on peut se raconter nos journées sereinement."

Les vacances sont justement idéales pour limiter un peu son addiction au smartphone, selon l’addictologue Michel Reynaud. "C’est le bon moment pour tenter de décrocher un peu car on a d’autres plaisirs en vacances. On a plus de relations amicales et sexuelles, on fait plus de sports, on a plus de fêtes et de bons repas…", énumère-t-il. Ainsi, on peut compenser le plaisir procuré par le smartphone par des activités propres aux vacances.

 

À l’instar de la panière de Juliette, Michel Reynaud recommande de s’imposer des restrictions d’utilisation, que ce soit à table ou dans la chambre à coucher. Ainsi que sur certains créneaux horaires : "consulter son téléphone immédiatement le matin, cela prend la place des échanges au petit-déjeuner", regrette-t-il. "Mais il faut d’abord se persuader qu’on peut modifier son comportement. Le faire de façon punitive, ça ne marche pas", fait-il d'abord valoir.

À défaut de le faire le reste de l’année, Juliette profite donc des vacances pour un peu "s’auto-discipliner", comme elle le dit : "Je ne prends pas mon smartphone à la plage. Je veux profiter de l’instant et j’ai le sentiment de me libérer d'un poids comme ça. Et je ne consulte pas mes mails non plus, sinon je n’arrête jamais le boulot."

À force de verbaliser son addiction, Juliette en conclut qu’elle doit pousser plus loin cette discipline : "je vais mettre en place à la rentrée plus de restrictions, et déposer dès le retour du travail mon téléphone dans la panière, pour profiter des gens présents et pas de ceux qui sont à l’autre bout du monde." Michel Reynaud rappelle toutefois que l’addiction commence "quand on perd totalement le contrôle". Le smartphone peut donc s’utiliser en vacances, à condition qu’il ne vienne pas gâcher les autres plaisirs de l’été.