"Gilets jaunes" : "Il y a un petit côté révolutionnaire dans ce qui est en train de se passer"

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Aurélie Dupuy , modifié à
Le sociologue Jean-François Amadieu voit dans le phénomène des "gilets jaunes" un mouvement totalement inédit, qui promet une sortie de crise des plus difficiles.
INTERVIEW

Troisième semaine de mobilisation et troisième samedi d'action pour les "gilets jaunes". Dans la capitale, la place de l'Etoile a été le théâtre de nouvelles tensions, tout comme les Champs-Elysées, déjà ciblés la semaine passée. Jean-François Amadieu, sociologue, était l'invité d'Europe 1 pour analyser ce mouvement.

Des manifestants inhabituels. Ce qui définit le mouvement, pour le sociologue, est bel et bien son caractère inédit. "On va de découverte en découverte. Il n'y a aucun élément de comparaison ni en France ni à l'étranger." L'étincelle a été l'augmentation des prix du carburant. "Au fond, c'est un mouvement d'automobilistes. Déjà, c'était innovant, parce que des automobilistes qui parviennent à se regrouper et à faire quelque chose, on n'avait jamais vu ça. Ensuite, rapidement, il y a eu une extension. C'est une sociologie très particulière qu'on n'a pas l'habitude de voir", et qui englobe selon lui des groupes peu habitués à battre le pavé, comme les femmes ou les retraités, investis en nombre.

Difficile sortie de crise et défiance. Autre élément non conventionnel : l'issue du rendez-vous entre le Premier ministre, avec seulement deux gilets jaunes sur les huit représentants du mouvement. L'un d'eux a même quitté les négociations. La rencontre a ainsi tourné au fiasco. "Ce qui s'est passé est surréaliste. C'est le signe non seulement d'une impasse sur le plan du 'comment sortir de cette crise' et surtout, certains gilets jaunes veulent que tout soit enregistré, filmé, en direct. C'est contraire aux habitudes. On n'a jamais vu un tel manque de confiance à l'égard de tout représentant, et même entre eux." S'ajoute à cette défiance la "marginalisation totale des syndicats, qui sont hors-jeu." 

Populaire malgré les violences. Le mouvement est par ailleurs de plus en plus populaire, de semaine en semaine, malgré plusieurs violences. "Ça en dit long sur ce qui risque de se passer et la gravité de la situation. Normalement, lorsqu'il y a des débordements", comme la semaine passée sur les Champs-Elysées, "il y a dans les sondages une légère baisse de popularité. Le renforcement de la popularité est incroyable après des morts, des blessés, des affrontements. Ce sont les signes convergents d'une situation qui devient très compliquée à gérer. Il y a un petit côté révolutionnaire dans ce qui est en train de se passer."

"Que céder ?". Et le spécialiste distingue ce mouvement d'autres grands mouvements contestataires : "Dans toutes les crises, le plan Juppé, le CPE, même 1968, on s'en est sorti facilement parce qu'on dealait avec les syndicats et on pouvait céder quelque chose de précis. Aujourd'hui, qu'est-ce qu'il faut céder ?", interroge le spécialiste qui pense que décider d'un moratoire sur les taxes carbones aurait pu suffire au début du mouvement, mais plus maintenant. "L'exécutif s'est lancé dans une situation très compliquée", conclut-il.