Que sait-on du fascicule sur la sexualité retiré d'un lycée catholique ?

La couverture de l'ouvrage du père Jean-Benoît Casterman.
La couverture de l'ouvrage du père Jean-Benoît Casterman. © Capture d'écran Amazon.fr
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L'ouvrage, intitulé "Pour réussir sa vie sentimentale", est notamment accusé de contenir des "propos haineux" sur l'homosexualité.

L’homosexualité y est qualifiée de "problématique" pour la vie sexuelle et conjugale, elle serait une "tendance" due à "l’influence excessive ou insuffisante du père ou de la mère dans l’enfance" et  ferait suite "à des perversions d’adultes"… Le petit opuscule du père Jean-Benoît Casterman, un prêtre catholique de la Communauté Saint-Jean qui vit en Afrique, a suscité un vif émoi la semaine dernière. Le fascicule, intitulé "Pour réussir sa vie sentimentale", a en effet été proposé à au sein du lycée catholique Sainte-Croix, à Neuilly, suscitant l’indignation de plusieurs élèves et parents. "Mon école donne des prospectus incitant à l'homophobie et qualifiant l'homosexualité de ‘pas normale’", se scandalisait ainsi un élève le 23 février dernier, sur twitter. Après un emballement médiatique et de nombreuses critiques, l’établissement a décidé d’interdire l’ouvrage, présentant ses "regrets" aux élèves et aux parents.

>> D’où sort cet ouvrage ? Comment a-t-il pu être proposé à des élèves de lycée ? Décryptage.

  • En quoi consiste cet ouvrage exactement ?

Ce manuel de 80 pages "pour réussir sa vie sentimentale" a été écrit  et édité (les éditions Béatitudes) en 2006, par un prêtre qui n’en est pas à son premier opus sur la sexualité, la vie de couple ou les rapports hommes/femmes. Ecoulé à plus de 50.000 exemplaires, l’ouvrage, que l’on trouve dans certaines librairies à caractère religieux mais aussi sur les sites de la Fnac et d’Amazon, a été traduit en plusieurs langues et réédité à une dizaine de reprises. À l’intérieur, l’auteur y développe une explication bien à lui de l’homosexualité. Extraits :

"L’homosexualité est l’attrait pour une personne du même sexe (du grec homo = identique; pour les femmes, on l’appelle lesbianisme). L’homosexualité résulte surtout d’une évolution psychique marquée par l’influence excessive ou insuffisante du père ou de la mère dans l’enfance; ou suite à des perversions d’adultes qui ont provoqué une attirance pour le même sexe, ou une répulsion pour l’autre sexe. Personne ne choisit une tendance homosexuelle, et on n’en est pas spécialement heureux. C’est pourquoi les personnes homosexuelles méritent toute notre considération".

Plus loin, le père Jean-Benoît Casterman, également collaborateur du site identitaire Riposte laïc, y explique que l’homosexualité "sera toujours problématique pour l’épanouissement sexuel et conjugal, et pour l’épanouissement des enfants". Il y délivre, également, quelques conseils pour les personnes de "tendance homo". "N’active pas cette tendance en passant à l’acte. Sentir n’est pas consentir. [...] L’engrenage peut être fatal, car nos actes confirment et développent nos tendances. […] Si tu as une tendance homo, tu es peut-être homo-sensible ou homophile, c’est à dire porté vers ton semblable (cela arrive à l’adolescence). Mais ne te définis pas par cette tendance, qui n’est pas irrémédiable et peut être surmontée".

  • Comment a-t-il pu être autorisé ?

Depuis la polémique née au lycée Sainte-Croix, l’ouvrage a suscité une pluie de réactions indignées. L’association Amicale Jeunes Refuge a dénoncé "un livre de haine et d’intolérance"¸ interpellant Amazon et la Fnac, qui proposent le livre à l’achat en ligne. SOS Homophobie a également fait part de "sa profonde inquiétude suite à un contenu haineux".

Contactées par Europe 1, les éditions Béatitudes reconnaissent que les formulations de l’auteur sont "maladroites". "Un éditeur édite, il laisse s’exprimer diverses opinions"¸ commente simplement son dirigeant Claude Brenti, arrivé à la tête de la maison d’édition après la dernière réédition de l’ouvrage. "Si on nous le proposait aujourd’hui, on ne le laisserait peut-être pas écrit comme ça"¸ reconnaît-il au passage.

Sur leur site, les éditons le vendent clairement comme un ouvrage proposant "une approche chrétienne" de l’éducation sexuelle, "déconseillé en cas d’allergie à Dieu". En clair, s’il est bien destiné "aux adolescents", il ne s’agit pas d’un manuel scolaire, mais d’un opus destiné à des familles catholiques (pour se faire une idée générale de la doctrine catholique sur l'homosexualité, vous en avez résumé ici). En tant que livre exprimant une opinion, il n’est pas attaquable juridiquement tant qu’il n’appelle pas à la haine des homosexuels.

  • Comment s’est-il retrouvé dans une salle de classe ?

Reste alors une question : s’il s’agit d’un simple ouvrage "d’opinions", comment s’est-il retrouvé sur les tables de classes ? D’un point de vue légal toujours, l’établissement était dans les clous. Si les lycées privés sous contrat – comme c’est le cas de Sainte-Croix – sont tenus de respecter un tronc commun obligatoire avec l’enseignement public, ils peuvent se permettre de mettre en place des cours annexes, facultatifs ou obligatoires avec l’accord des parents. Et dans ces cours, peuvent figurer des éléments emprunts de dogmes religieux.

En l’occurrence, l’ouvrage a été proposé dans le cadre d’un ensemble de séances de cinq semaines intitulé "Formation humaine et spirituelle" et portant sur "l’amour". C’est l’équipe pastorale du lycée (composée d’enseignants, de représentants parentaux et d’un aumônier) qui l’a commandé, visiblement sans que la direction en connaisse le contenu. Selon Marianne, le livre figure dans une liste de contenus pédagogiques dressée directement par l’évêché de Nanterre, qui n’a pas souhaité réagir.

  • Comment a-t-il été reçu ?

Mais même s’il rentre dans les clous du droit, l’ouvrage n’en a pas moins suscité une vive indignation au lycée catholique Sainte-Croix, où il a été proposé à plusieurs élèves. "Alertée par des élèves et parents d’élèves au sujet de certains contenus jugés polémiques, la direction a décidé dès le lendemain de retirer ces manuels des classes de l’établissement", relate le journal La Croix. Selon le journal catholique, toutefois, "sur twitter, certains ont critiqué ce retrait, reprochant à l’établissement un ‘manque de courage’ alors que les positions exprimées par le P. Casterman leur paraissent en conformité avec l’enseignement de l’Église catholique en matière de sexualité".

Dans un communiqué, la direction de l’établissement a tranché en faveur des parents indignés par l’opus. Elle s’est d’ailleurs livrée à un mea culpa sans ambiguïté, exprimant "ses plus vifs regrets à ceux qui se sont sentis offensés ou qui ont été choqués par cette brochure". "L’équipe pastorale du lycée et moi-même n’avions pas pris le temps nécessaire pour examiner attentivement ce document dont les contenus ne reflètent en rien la réflexion que nous voulons conduire avec nos élèves", poursuit le communiqué. Et de conclure, se détachant clairement de "l'opinion" exprimée par le fascicule : "Mon équipe et moi-même réaffirmons le projet éducatif de Sainte-Croix de Neuilly, qui est notamment d’être un lieu d’ouverture sur le monde".

 

L'avortement, "l'irréparable"

L'ouvrage n'aborde pas que la question de l'homosexualité. Et sur d'autres questions, comme celle de l'avortement, il adopte une nouvelle fois une vision bien singulière. "Alors, toi, jeune fille, si tu es enceinte, ne reste pas seule. La solitude ou la panique te pousseront à l’irréparable, que tu regretteras toute ta vie. Cherche de l’aide, demande conseil à de vrais amis — qui accueillent la vie— et à des personnes qui te soutiendront. [...]Si tu as avorté, et si tu es croyante, reçois le pardon du Seigneur", peut-on lire dans le fascicule. "En voulant évacuer un problème (la grossesse), on en provoque un autre beaucoup plus lourd: une amputation de la vie", poursuit-il. Principale solution préconisée à la place ? "L'abstinence".