Tunisie : Najla Bouden Première ministre, séisme politique ou nomination symbolique ?

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Vincent Hervouet, Mehdi Aouas (depuis Tunis), édité par Solène Leroux avec AFP
Le président tunisien Kaïs Saïed a chargé Najla Bouden, une femme, de former un gouvernement, une première dans l'histoire du pays. Elle hérite de la lourde tâche de réformer la Tunisie, un pays miné par la crise économique. Ses pouvoirs seront toutefois limités par le président qui s'est arrogé les pleins pouvoirs il y a deux mois.
ANALYSE

Une nomination surprise et historique. Deux mois après le limogeage du précédent cabinet, le président tunisien Kaïs Saïed a assigné à Najla Bouden Romdhane la mission de former un gouvernement. C'est la première fois dans l'histoire de la Tunisie, pays pionnier dans le monde arabe en matière des droits des femmes, que la tâche de diriger le gouvernement est confiée à une femme. Depuis la présidence de Habib Bourguiba dans les années 1950, la Tunisie est considérée comme le pays du Maghreb à l'avant-garde pour l'émancipation des femmes.

Le président tunisien a insisté à plusieurs reprises sur le caractère historique de cette nomination, un honneur pour la Tunisie et un hommage à la femme tunisienne, mais aussi une nécessité face à la situation exceptionnelle que traverse le pays. "Elle est pour toujours la première femme à diriger un gouvernement arabe", détaille Vincent Hervouët, éditorialiste à Europe 1. "Et qu'importe si elle échoue à réformer le pays, comme tous ses prédécesseurs depuis la chute de Ben Ali, elle est la fierté des Tunisiennes." Ces dernières ont applaudi sa nomination, car "elle incarne désormais l'espoir, la dignité de la moitié de la population du monde arabe", insiste l'éditorialiste.

Novice en politique

Inconnue du grand public, Najla Bouden Romdhane est novice en politique. Docteure en géologie, cette universitaire a 63 ans, le même âge que le président. Originaire de la ville de Kairouan, dans le centre du pays, elle était jusque-là en charge de la gestion d'un projet subventionné par la Banque mondiale pour réformer l'enseignement supérieur. La nouvelle Première ministre n'a pas de compétences reconnues en économie : avant de gérer le projet subventionné par la Banque mondiale, elle avait été directrice générale au ministère de l'Enseignement supérieur.

Selon un communiqué de la présidence, Kaïs Saïed a chargé Najla Bouden Romdhane de former un gouvernement "dans les prochaines heures ou jours". Mais c'est le chef de l'État qui sera le réel détenteur du pouvoir exécutif. Il présidera le conseil des ministres, en vertu d'un décret contenant des "mesures exceptionnelles" adopté le 22 septembre. Son gouvernement devra lutter en priorité contre la corruption. Très endettée et dépendante des aides internationales, la Tunisie fait face à une profonde crise économique et sociale - chute du PIB, forte inflation, chômage à près de 18% -, aggravée par la pandémie de Covid-19.

Une arrivée en demi-teinte

Les déclarations du président tunisien, rappelant le caractère historique de cette nomination ne satisfont pas l'opposition. "La députée du parti islamiste Ennahda, Yamina Zoghlami, a commenté la nomination sur sa page Facebook, explique Mehdi Aouas, correspondant d'Europe 1 en Tunisie. Elle estime que le choix d'une femme ne dispense pas le nouveau gouvernement de passer par l'Assemblée des représentants du peuple pour obtenir sa confiance." Une étape nécessaire, selon elle, pour que le gouvernement soit légitime.

La nomination de Najla Bouden Romdhane "est une chose positive, une reconnaissance de l'importance du rôle des femmes en Tunisie et de leur capacité à réussir dans tous les domaines", a déclaré à l'AFP le politologue Slaheddine Jourchi. Mais Najla Bouden Romdhane manque d'expérience, a-t-il ajouté en émettant des doutes sur sa capacité "à faire face à tous les énormes dossiers complexes" qui l'attendent.