Soins déprogrammés à cause du Covid : "Jusqu'à 10.000 personnes" mourront de leur cancer

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Guilhem Dedoyard , modifié à
Axel Kahn, le président de la Ligue contre le cancer, s'est dit "atterré" de la politique sanitaire actuelle du gouvernement. Sur Europe 1, il estime que les soins déprogrammés depuis le début de l'épidémie de Covid ainsi que les transferts de patients coûteront la vie à plusieurs milliers de malades du cancer, jusqu'à 10.000 selon lui. 
INTERVIEW

"Le prix qui a été payé par les personnes malades du cancer est considérable." Le professeur Axel Kahn, président de la Ligue contre le cancer, s'est alarmé des conséquences de la stratégie gouvernementale contre le Covid sur les patients atteints de pathologies chroniques. Il estime que les perturbations entrainées à l'hôpital par le virus vont causer des décès supplémentaires. Selon lui, "jusqu'à 10.000 personnes perdront la vie" en raison d'une prise en charge insuffisante de ces maladies lors de la pandémie. Un chiffre qui pourrait continuer d'augmenter en raison des déprogrammations et des transferts de patients actuellement mis en place en Île-de-France

Environ 20 % des diagnostics n'ont pas été faits

Comme l'explique Axel Kahn, l'Institut national du cancer a publié en début d'année le bilan des diagnostics prévus finalement non réalisés. Sur environ 400.000 diagnostics de cancer effectués tous les ans, "20 % n'ont pas été faits", explique le médecin. Cela représente environ 80.000 patients.

Et la situation s'est "aggravée depuis. On doit être à 90.000 ou 95.000 retards de diagnostics, auxquels il faut ajouter les retards de coloscopies pour confirmer un cancer colorectal et les retards de colposcopies pour le col de l'utérus". Un constat également valable pour "les reports de chirurgies carcinologiques [relatives au cancer, ndlr] non-prioritaires" et ceux de chirurgies reconstructrices.

Axel Kahn juge ainsi qu'un "prix lourd" a été payé par les personnes malades du cancer. "On évalue aujourd'hui à 3.000, 4.000, jusqu'à 10.000 personnes qui perdront la vie de l'évolution de leur cancer parce qu'il n'a pas été soigné de manière optimale à cause du Covid." Et le scientifique s'inquiète de l'augmentation prévisible de ces chiffres. "Le fait que l'on ait choisi de vivre avec cette circulation virale extrêmement élevée depuis deux mois était la plus mauvaise chose pour toutes les personnes ayant des maladies chroniques", tacle-t-il. 

"Nous sommes dans une situation déraisonnable"

Car "la tension hospitalière accroît et aggrave" le problème affirme Axel Kahn. Les évacuations sanitaires opérées par l'Île-de-France signifient "qu'on exporte la tension hospitalière et que l'on aggrave la situation des malades chroniques en Nouvelle-Aquitaine, à Nantes et dans toutes les régions vers lesquelles on va envoyer des dizaines de personnes en réanimation". Avec jusqu'à 100 évacuations sanitaires prévues et 40 % des interventions chirurgicales en Ile-de-France reportées, "nous sommes dans une situation déraisonnable", estime le président de la Ligue contre le cancer. 

A cela s'ajoute le fait que les infections nosocomiales liées au virus "ont été très nombreuses" et qu'un "petit nombre de personnes malades ne sont pas mortes de leur cancer mais du Covid" parce qu'on a accepté "un très fort taux de circulation virale". Le scientifique le rappelle néanmoins, "le risque principal, c'est qu'on ne soigne pas votre cancer de la manière dont on devrait le faire".

Il enjoint donc tous les patients qui le peuvent à ne pas retarder leur visite à l'hôpital. Pour autant, la situation met Axel Kahn "en colère". "Je suis outré", assène-t-il. "La décision de ne pas reconfiner l'Île-de-France est avant tout politique, mais c'est une très mauvaise politique d'un point de vue sanitaire." Un confinement aurait du être décidé "il y a fort longtemps", selon lui.