Quand Google, Siri ou Amazon créent les nouveaux prolétaires du web

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Travail à un rythme effréné, salaire de misère, tâches répétitives et abrutissantes... François Clauss dénonce, sur Europe 1, dans sa chronique "L'air du temps", la précarité engendrée par le digital, entre autres.

Sur Europe 1, François Clauss revient dans sa chronique "L'air du temps" sur la précarité engendrée par le numérique dans certains secteurs. Comme Jacques Prévert, le chroniqueur veut du soleil, à l'heure où le digital assombrit le futur de certaines professions.

J’ai beaucoup songé à un poème de Prévert, cette semaine, qui m’a renvoyé à mes jeunes années quand je m’essayais au théâtre : "Le soleil brille pour tout le monde. Il ne brille pas pour ceux qui sont en prison. Ceux qui écaillent le poisson. Ceux qui fabriquent dans les caves les stylos avec lesquels d’autres écriront en plein air que tout va pour le mieux…"

Pendant des heures, ils doivent reproduire les mêmes gestes devant une webcam

J’ai beaucoup pensé à Prévert en lisant l’excellent hebdomadaire d'Eric Fottorino, "Le 1", découvrant stupéfait la réalité de ceux que l’hebdomadaire qualifie de nouveaux prolétaires du Web. Enfermés en Inde, en Afrique ou en Amérique du sud dans leur cave, devant un ordinateur et employés par Google, Siri ou Amazone dans la course effrénée au développement de l’intelligence artificielle, ils sont chargés de cliquer à longueur de journée pour entourer un personnage sur une photo.

Pendant des heures, ils doivent reproduire le même geste - enlever et remettre une paire de lunettes de soleil, lever un bras -, en face d’une webcam, payés 30 centimes de l’heure. On les appelle les micro-travailleurs, ils sont les mains invisibles du numérique.

J’ai beaucoup pensé à Prévert, en suivant le parcours de 5 livreurs de Deliveroo qui ont décidés sur leur vélo de partir de Bordeaux pour rejoindre Paris, dénonçant leurs nouvelles conditions de rémunération. Eux, les nouveaux forçats des temps modernes censés répondre à notre irrépressible besoin de livraison à domicile. Même sur un vélo le soleil ne brille guère quand on pédale 50 heures par semaine pour moins de 2000 euros mensuels.

800 euros pour se loger dans une chambre de bonne à Paris

J’ai beaucoup pensé à Prévert en cette rentrée universitaire en découvrant les derniers chiffres de l’immobilier cette semaine à Paris où le mètre carré atteint désormais les 12.000 euros en moyenne dans certains quartiers quand des étudiants sont obligés de débourser parfois jusqu’à 800 euros par mois pour se loger dans une chambre de bonne souvent sans salle de bain. Dans la ville dite Lumière.

Je me suis même demandé si Emmanuel Macron lui-même n’avait pas pensé à Prévert en reprenant sur la question des retraites son bâton de pèlerin réformiste, venant rassurer à Rodez le bon peuple inquiet de ne guère pouvoir profiter du soleil après une longue vie de labeur.

Rodez… A quelques encablures du magnifique musée Soulage. Impossible de ne pas faire l’analogie : Soulage le grand peintre du Noir mais qui nous a aussi enseigné que du noir pouvait venir la lumière. Alors oui le soleil finira peut-être par briller pour tout le monde. Faudrait-il encore que 227 ans après la Déclaration des Droits de l’Homme, une nouvelle philosophie des lumières vienne éclairer la Révolution… numérique.

"Je veux du soleil"