"C’est l’histoire d’un cas de COVID 19, d’un seul cas, mais qui est l’histoire de notre monde en temps de pandémie"

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Chaque dimanche soir, François Clauss conclut les deux heures du Grand journal de Wendy Bouchard avec une mise en perspective toute personnelle de l'actu. 

"C’est l’histoire d’un cas de COVID 19, d’un seul cas. Mais qui est, en fait, l’histoire de notre monde en temps de pandémie. C’est l’histoire de Alvaney Xiri-Xana, un adolescent de 15 ans, première victime du COVID 19 au sein du peuple Yanomami, l’une des tribus les plus isolées d’Amazonie, au Brésil.

C’est l’histoire de notre monde, Alvaney, dénutri et anémique, fut baladé pendant 3 semaines d’institutions sanitaires en dispensaires avec une simple prescription d’antibiotiques, sans jamais être soumis au moindre test de dépistage au pays de Bolsonaro. Alvanay ne sera finalement testé que le 3 avril dernier, trop tard, placé sous respirateur il décédera le 9 avril.

Le cas Alvaney au cœur de l’Amazonie fait redouter le pire pour l’avenir de son propre peuple. Lui qui fût ballotté 3 semaines, restant tout ce temps-là en contact étroit non seulement avec sa famille mais tout son peuple. On redoute qu’il ne devienne ce que les épidémiologistes appellent un "super diffuseur" à l’image de ce qui s’est joué chez nous pour les 1760 marins du Charles de Gaulle dont (rappelons le) 1046 furent infectés. Alors oui on est en droit de redouter le pire pour les Yanomamis.

Au-delà des Amérindiens, l’histoire d’Alvaney nous renvoie nécessairement à tous ces peuples dit autochtones, si fragiles dans leur immunité et qui pourraient demain payer le plus lourd tribut à l’épidémie. A commencer par les aborigènes d’Australie, placés tardivement sous cordon sanitaire le 26 mars dernier, dans un territoire où le taux de mortalité lors de l’épidémie de H1N1 en 2009, avait déjà été six fois supérieur à celui du reste du pays.

Comment ne pas penser aussi avec le cas Alvaney à tous les pays sanitairement les plus démunis. Au continent africain, pour le moment encore préservé (mais dispose-t-on vraiment de statistiques fiables) mais où 52 des 54 pays sont désormais bel et bien touchés par la pandémie.

L’histoire d’un gamin amazonien abandonné sur le bord d’un fleuve nous alerte aussi sur le sort de tous ceux qu’on est en passe, chez nous, de laisser au bord de la route. Comme nous le rappelle cet ancien grand patron que fut Louis Gallois aujourd’hui Président de la fédération des acteurs de la solidarité dans une vibrante tribune publiée cette semaine dans le journal Le Monde : ces milliers de travailleurs invisibles sans papiers en France.

Ceux- là même qui nous livrent à domicile nos repas, préparent nos commandes pour les grands groupes logistiques, travailleurs de l’ombre et de la première ligne qui prennent des risques avec leur santé alors qu’on leur dénie le droit de bénéficier de la moindre couverture médicale. Le virus devrait nous rappeler opportunément qu’ils appartiennent à la même communauté. Oui, ce cas unique pour le moment de Covid-19 au cœur de la forêt amazonienne nous interpelle Wendy.

L’anthropologue Bruce Albert nous rappelle comment à chaque fois les blancs du monde civilisé apportent le mal dans la forêt, choléra, rougeole hier, Covid 19 aujourd’hui. Qu’ils soient évangélistes, ou chercheurs d’or, travailleurs qui éventrent la forêt pour construire leurs routes ou extraire leurs précieux minerais, tous important leur virus à des populations démunies sanitairement et incapables de produire leurs anti-corps.

Bruce Albert nous remet en mémoire les mots prémonitoires d’il y a plus d’un demi-siècle du grand Claude Levi Strauss qui nous prévenaient déjà d’un régime d’empoisonnement interne dans lequel nous nous serions fourvoyés, nous homo industrialis écrivait alors Levi Strauss, on pourrait dire homo mondialis aujourd’hui.

Oui nous les broyeurs de la forêt, nous le peuple de la marchandise, nous le grand prédateur responsable de la destruction des espèces, nous voilà donc depuis six semaines, en l’absence de traitement ou de vaccins, aussi démunis qu’un indien d’Amazonie, contraint de nous confiner dans la forêt de nos villes et nos appartements. Comme si, par un improbable retournement de l’histoire nous étions en passe de faire de nous-même, Wendy, ce que nous avons fait d’eux, les Amérindiens.