"Le brutal déconfinement de l'information"

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Chaque dimanche soir, François Clauss conclut les deux heures du Grand journal de Wendy Bouchard avec une mise en perspective toute personnelle de l'actu.

Voilà que depuis quelques jours, on s’intéresse au racisme dans la police américaine, on redécouvre que des salariés manifestent dans la rue pour défendre leur emploi, que le Costa Rica devient le premier pays d’Amérique latine à célébrer le mariage pour tous, que le Bayern de Munich a repris la tête du championnat d’Allemagne…

Etrange sensation…comme si nous avions été en apnée pendant de trop longues semaines, comme si notre champ sémantique s’était soudain réduit à cette étrange terminologie : confinement, comorbidité, taux de létalité, distanciation sociale, comme si aussi nous avions soudain repeint en rouge et vert les cartes géographiques de l’Atlas de notre enfance.

Oui, Wendy, il est bon de respirer à nouveau, à la fin du mois d’avril déjà, le sociologue Didier Lapeyronnie s’interrogeait, nous expliquant que tel le monstre Alien imaginé par Ridley Scott en 1979, le virus avait envahi nos corps et nos esprits, infectant non seulement nos poumons, mais aussi nos capacités cognitives ou intellectuelles, exacerbant nos émotions, positives ou négatives, accentuant le repli où nous pensions trouver un peu de sécurité.

Comme si le Monde s’était arrêté de tourner.

Avons-nous réalisé, ou même seulement su, que le 22 mars dernier, à quelques centaines de kms de Paris des immeubles se sont effondrés dans les rues d’une capitale européenne, Zagreb, victime d’un tremblement de terre d’une magnitude de 5,3 sur l’échelle de Richter en pleine pandémie ?

Avons-nous su, ou réalisé, que 34 ans après… presque jour pour jour… les habitants de Kiev ont été contraint de s’enfermer doublement chez eux, le 18 avril dernier, lorsqu’un un nuage radioactif en provenance de Tchernobyl, suscité par un gigantesque feu de forêt assombrissait la ville et que le pays s’est retrouvé doublement confiné sous l’effet conjoint du Covid 19 et du Cessium 137 ?

Avons-nous su, ou seulement réalisé, que le dictateur nord-coréen, le 10 mars dernier, a tiré deux têtes de missiles balistiques, en direction du Japon ?

Non, nous ne l’avons ni su vraiment, ni réalisé totalement, infectés que nous étions et l’avons tous été durant 3 mois par ce Covid 19.

Les débats politiques n’étaient plus droite contre gauche, c’était raoultophiles contre raoultophobes, non, ce n’était plus la hausse ou la baisse des températures que l’on attendait à l’orée d’un JT, mais bel et bien la hausse ou non des hospitalisations en réanimation.

Non, ce n’est pas le 4-3-3 de Didier Deschamps qui nous enflammait, mais les 1,50 ou 1,60 de distanciation indispensable pour garantir non pas l’équilibre d’une équipe de foot, mais d’un corpus social.

Ce virus nous a rendu fou, clamait ce matin le philosophe Bernard Henry Levy sur Europe 1 avec Patrick Cohen, comme si nous avions été saisis d’un égarement collectif, tous emportés, victimes de cet alien.

Des scientifiques qui investissent les plateaux de télévision, des journalistes devenant des scientifiques, une opinion publique devenue virologue, des  politiques se muant en infectiologues.

Dans le journal du dimanche ce matin, le professeur Delfraissy, Président du Comité scientifique garant du confinement le plus strict durant 3 mois, lance soudain un cri comme s’il craquait à son tour : « laissez les gens vivre ».

Oui vivre…un peu de distance… pas de distanciation …

Du sens aussi, à commencer par celui de l’information.