Le confinement pour lutter contre le Coronavirus : "Comme un sentiment de malaise"

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Chaque dimanche soir, François Clauss conclut les deux heures du Grand journal avec une mise en perspective toute personnelle de l'actu.

Comme un sentiment de malaise, moi le privilégié du confinement dans une confortable maison isolée du sud du pays. Malaise en pensant aujourd’hui à cette famille de 4 enfants vivant dans ce que fut l’appartement de mon enfance au cœur la Zup de Blois. La Zup, cette succession de barres de 4 étages ou plus dans lesquels vivent aujourd’hui 20 000 personnes pour une ville de 50 000 habitants. Oui, je pense à cette famille aujourd’hui enfermée avec ses enfants, interdits de sortir, et privés de ce qui est aujourd’hui l’une des principales soupapes : le match de foot au pied de l’immeuble désormais passible d’une amende de 135 euros. Et oui, moi le privilégié, je n’en peux plus d’entendre et de lire tous ces conseils émanant d’intellectuels reclus dans leur résidence secondaire en Bourgogne ou au pays basque nous demandant de profiter de l’instant pour nous retrouver, nous, nos enfants, comme l’écrit si bien ma consoeur Nadia Daam sur le site slate.fr

"Moi le privilégié"

A la Zup de Blois, le confinement ce n’est comme elle l’écrit, ni un atelier d’écriture de haikus ni une retraite spirituelle. Sentiment de malaise pour moi le privilégié dans la maison isolée lorsque je relisais le grand historien du moyen âge Georges Dubby, racontant comment les riches Florentins pour échapper à la terrible peste noire, se calfeutraient et faisaient la fête dans leur palais, comme le raconta si bien Bocasse et le filma si bien Pasolini dans le Décameron. Malaise à vif en repensant à ces images et ces mots quand le Maire de Bergame, à quelques dizaines de kilomètres au nord de Florence, racontait comment dans sa ville on enterre une personne toutes les 30 minutes.

Sentiment de malaise en lisant cette semaine le Canard enchainé, nous décrivant comment les patrons du CAC 40, presque tous, animés par le même réflexe de confinement de leur richesse, ont racheté à tour de bras des milliers d’actions de leur propre entreprise dont le cours s’effondrait, anticipant d’ores et déjà la hausse des lendemains de crise. Quand au même moment les héroïques aides-soignantes qui s’occupent de mon papa, 93 ans, dont le corps s’ankylose dans son Ehpad confiné, se battent héroïquement pour 1200 euros par mois sans pouvoir même porter un masque de protection.

"Imaginez la réalité de ces hommes enfermés aux Baumettes"

Sentiment de malaise, en lisant depuis hier les messages de mon ami Rami le Palestinien, enfermé depuis 12 ans dans la prison à ciel ouvert de Gaza, où les deux premiers cas de covid-19 ont été identifiés hier, générant immédiatement un nouveau confinement dans le confinement. Image me renvoyant au magnifique film des hommes, sorti il y a quelques jours sur nos écrans, sur la réalité de ces hommes là enfermés aux Baumettes à 3 dans une cellule de 9 mètres carrés, même sentiment de malaise en imaginant celui qui en sortirait aujourd’hui au terme de sa peine, et qui après avoir temps rêvé de liberté, se retrouverait confiné dans une chambre. Ont-ils seulement le droit à une sortie aujourd’hui ?

"Jusqu’à quand l’épreuve sanitaire résistera à la crise sociale, au Maroc, en France ?"

Sentiment de malaise en pensant à mes amis marocains, dont j’aurai dû partager le quotidien à quelques heures près, face à cette image impressionnante d’une colonne de blindés se déployant autour de la tentaculaire Casablanca pour tenter de contrôler une incontrôlable agglomération de 7 millions d’habitants et dans laquelle 80% des habitants vivent au jour le jour dans une économie informelle, cherchant parfois un travail quotidiennement dans les rues, et de fait privés de ressources. Jusqu’à quand l’épreuve sanitaire résistera à la crise sociale, au Maroc, en France, partout en Afrique demain et dans le Monde ? 

Oui, Matthieu, nous sommes tous confinés, mais je suis certain que si nous ne pensons pas demain lorsque, forcément, collectivement nous aurons gagné, à ce lien sociale, aux aides soignantes, aux familles dans les ZUP, aux familles gazaouies et d’autres pays, il n’est pas sûr que ce seront des lendemains qui chantent, alors même que le virus aura été terrassé.