"Je me souviens du 10 novembre 1989"

3:38
  • Copié
, modifié à

Chaque dimanche soir, François Clauss conclut les deux heures du Grand journal de Wendy Bouchard avec une mise en perspective toute personnelle de l'actu.

10 Novembre 1989, 10 Novembre 2019, 30 ans jour pour jour après, il est 7 heures du matin, et je me souviens de cette voix qui sort du poste, comme on disait encore à l’époque. "J'ai sans doute vécu la nuit la plus extraordinaire, la plus exaltante de ma vie depuis la Libération de la France", disait alors André Ancian, correspondant d'Europe 1 en Allemagne. Ces mots-là restent ancrés en moi, comme si c’était ce matin.

10 Novembre 89, je me souviens, 10 minutes plus tard, le coup de fil de mon rédacteur en chef: "Il y a un avion qui décolle à 9h40, tu pars". Je me souviens, je cours sur le trottoir mon Nagra à l’épaule, mon fils de 10 mois sous le bras. Je le dépose à la crèche, puis la moto d’Europe 1 me transporte vers l’histoire.

10 Novembre 89, je me souvient de la Potsdamer Platz à 14 heures, de ce pan de mur qui s’ouvre, là sous mes yeux, comme la page d’un livre d’histoire qui se tournerait. 10 Novembre 89, je me souviens de ces regards fiévreux d’un côté, hagards de l’autre, mais qui ne feront qu’un, quelques minutes plus tard, entre larmes et embrassades.

La musique de Rostropovitch

10 Novembre 89, je me souviens de Checkpoint Charlie, de ce vieil homme seul sur sa chaise qui entame avec son violoncelle quelques mesures d’une sarabande de Bach. Le Grand Rostropovitch qui ce jour-là, pense à tous ceux qui sont morts un jour à cause de ce mur qui s’effondre derrière lui comme un fragile domino. 30 ans après ces quelques notes sont là ancrées en moi à jamais, comme si c'était ce matin. 

10 Novembre 89, je me souviens de cette file ininterrompue de Trabant fumantes aux improbables tonalités vert anis et bleu pastel qui roulent vers la liberté. 10 Novembre 89, je me souviens du regard perdu de ces kapos verts de gris, incarnation vivante quelques heures seulement auparavant de l’impitoyable répression, devenus soudain si dérisoires face à cette foule ivre de son nouveau pouvoir qui s’assoit à califourchon sur le mur.

Car, oui, 10 Novembre 89, il y avait dans l’air cette cette énergie là si singulière des grands instants et d’un irrésistible besoin de la partager. En quittant Berlin, 3 semaines plus tard, je tomberai nez à nez à l’aéroport avec 3 légendes du rock américain débarquant à l’improviste, guitare en bandoulière. Crosby, Stills et Nash, héros de Woodstock 20 ans auparavant, ne résistant pas, comme si l’histoire devait se répéter, accompagner en musique ce monde qui change.

"Entretenir le souvenir de cette inoubliable nuit"

10 Novembre 89, j’y repenserai très fort 22 ans plus tard, à Benghazi en Libye, lorsqu'avec le même besoin de justice, la foule à main nus allait libérer les geôles de Kadhafi. J’y repenserai à Homs, en Syrie, lorsque qu’avec la même farouche détermination, la jeunesse défiait les blindés de Bachar. J’y repenserai au Caire, lorsqu’avec la même frénésie de liberté, les manifestants déboulonnaient la statue de Moubarak

Mais en ce 10 Novembre 2019 et au-delà du rêve broyé de Benghazi, de Homs ou du Caire, je ne peux m’empêcher de repenser à ce petit bout de chou de 10 mois qui aura vécu la chute du mur dans sa crèche, devenant 30 ans plus tard après des études à Paris, Rotterdam et Copenhague, un citoyen épanoui de ce nouveau continent né de la chute d’un pan de mur de la Potsdamer Platz

Et à l’heure où ce nouveau monde serait "au bord du gouffre", à l’heure où la tentation de rebâtir des murs n’a jamais semblé aussi forte, oui, il est de notre devoir d'entretenir le souvenir de cette inoubliable nuit du 9 au 10 juillet 89.