Twitter est l'une des plateformes où sont envoyés énormément de messages haineux depuis le début du confinement. 1:31
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Ariel Guez
Pour le sémiologue François Jost, auteur de "La Méchanceté en actes", la haine en ligne est le résultat d'une division nette entre différentes catégories sociales. S'il reconnaît ne pas savoir si le confinement aggrave la situation sur les réseaux sociaux, il explique au micro d'Europe 1 que les clivages sont extrêmement forts. 
INTERVIEW

Depuis le début du confinement pour tenter d'endiguer l'épidémie de coronavirus, les Français ne peuvent plus sortir de chez eux, mais peuvent toujours se balader sur les réseaux sociaux. Et depuis un mois, la haine en ligne est plus visible, au point que Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargé(e) de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, réunit ce jeudi plusieurs plateformes (Twitter, Facebbok, Google) et des associations (Respect Zone, l'Association des jeunes Chinois de France, SOS Homophobie, SOS Racisme, l'UEJF, la Licra et le CRIF).

Invité de Philippe Vandel dans Culture Médias sur Europe 1, François Jost, sémiologue et auteur de La Méchanceté en actes et Médias : sortir de la haine, est revenu sur cette situation. Il indique qu'il "ne sait pas si le confinement nous rend davantage méchants", mais est persuadé que "les oppositions sont extrêmement fortes".

"C'est presque une loi de psychologie sociale"

François Jost cite celle "entre les Parisiens et les gens qui sont en province, qui trouvent que Paris est trop mis en avant". Mais aussi celle "entre ceux qui 'travaillent durement' et ceux qui 'ne travaillent pas durement' comme les écrivains ou les professions libérales".

Le sémiologue prend pour exemple la vague de haine qui a suivi la publication du "journal du confinement" de Leïla Slimani, où elle raconte son quotidien de confinée. "Dans ce genre de situation où on ne comprend pas très bien d'où viens le virus et comment ça se passe, on a besoin de s'en prendre à l'autre. C'est presque une loi de psychologie sociale. On forme une sorte de groupe contre les gens connus et les gens qui sont sur les réseaux sociaux et qui se mettent en avant", indique François Jost.

Une opposition entre l'élite et le peuple

Interrogé sur le cas de Karine Lacombe, infectiologue qui a dû quitter les réseaux sociaux après avoir été insultée car elle avait critiqué ouvertement les thèses du Professeur Didier Raoult, François Jost voit là aussi plusieurs oppositions. Karine Lacombe "s'en prend au Professeur Raoult qui est de Marseille et on a une opposition très forte entre la province et Paris (...). Elle représente aussi la rationalité de la science, et beaucoup de gens veulent croire à des choses qui n'ont pas forcément été démontrées mais qui seraient apparemment efficaces", explique François Jost. "C'est une opposition contre une institution scientifique".

Pour lui, ces divers clivages, matérialisés par des tweets et des messages interposés, montrent que la haine en ligne est "la suite des Gilets jaunes par d'autres voies". "Je disais dans mon livre que la haine sur Twitter était la lutte de classe par d'autres moyens. J'en ai eu la confirmation avec une énorme affiche qui avait été diffusée au début du confinement où il est écrit que la romantisation de la quarantaine est un privilège de classe", raconte le sémiologue.

"On voit bien très bien qu'on a cette opposition qui continue, qui s'exprime autrement maintenant, mais qui est la même entre l'élite et le peuple". 

"Sur internet, on n’oubliera pas"

Si les exemples cités ci-dessus ont suscité la polémique et une déferlante d'insultes dès leur publication, d'autres vidéos ou articles sont exhumés par certains utilisateurs de Twitter ou de Facebook pour attaquer une personnalité publique. Ce fut le cas pour Yves Calvi, qui dans L'info du vrai du 12 mars 2020 affirmait que le personnel soignant "pleurnichait".

Des propos qui ont choqué.... Un mois plus tard. Pour François Jost, c'est un exemple criant de la différence entre la haine en ligne et la haine en général : la mémoire sur internet. "On va chercher des phrases parfois très en amont (...) Avec cette idée que sur internet, on n’oubliera pas et qu'on paiera le jour du 'grand soir'", conclut le sémiologue.