Covid-19 : "Avec une licence obligatoire, la France pourrait produire un vaccin"

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Ariel Guez
Nathalie Coutinet est économiste de la santé et auteure avec Philippe Abecassis du livre "Économie du médicament." Invitée d'Europe 1 samedi, elle explique que la "licence obligatoire", un dispositif de l'Organisation mondiale du commerce, donnerait la possibilité à tout fabriquant de produire un vaccin contre la Covid-19. 
INTERVIEW

L'Europe affiche actuellement un bilan de vaccination inférieur à celui notamment du Royaume-Uni, et de nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer les retards des livraisons des doses. Certains n'hésitent pas à parler de pénurie, tandis qu'en France le gouvernement se veut confiant et assure que tous les adultes qui le souhaitent seront vaccinés contre la Covid d'ici la fin de l'été 2021. Bientôt, quatre entreprises basées sur le sol français vont pouvoir produire des vaccins. Mais à entendre l'économiste Nathalie Coutinet, il serait possible d'aller plus vite. Comment ? L'auteure du livre Économie du médicament, explique qu'avec "une licence obligatoire, la France ou l'Europe pourraient avoir la possibilité de produire un vaccin et donc de réduire le problème de pénurie qui, aujourd'hui, est vraiment le problème numéro un."

"Ce mécanisme est prévu et les firmes doivent s'y soustraire"

Le dispositif de "licence obligatoire" est un mécanisme de l'Organisation mondiale du commerce, rappelle Nathalie Coutinet. "Il permet à un pays, pour des raisons de santé publique, de demander l'autorisation à un laboratoire pharmaceutique qui détient un brevet sur un médicament ou un vaccin, de produire ou de faire produire ce vaccin sans l'autorisation de la firme", explique-t-elle. Car aujourd'hui, lorsqu'une firme détient le brevet d'un médicament ou d'un vaccin, elle est la seule à pouvoir les produire. 

Plusieurs pays, comme l'Inde et l'Afrique du Sud, plaident donc pour une dérogation aux droits de propriété intellectuelle. Mais encore faut-il obliger les firmes à céder leur brevet. Sur le papier, c'est possible : la procédure de licence obligatoire existe dans le droit national de nombreux pays - dont la France - et à l'international dans les accords Adpic. "Ce mécanisme est prévu et les firmes doivent s'y soustraire", résume Nathalie Coutinet. Mais dans les faits... c'est une autre affaire. "En général, il faut avouer qu'elles n'aiment pas beaucoup le faire", reconnaît l'économiste.

"De gros laboratoires pharmaceutiques constituent des lobbies politiques extrêmement puissants"

Surtout qu'à la table de l'OMC, "la demande des pays du Sud et de nombreux scientifiques a été refusée par des pays riches", souligne Nathalie Coutinet. "Donc je pense que les gouvernements ne souhaitent pas trop mobiliser ce dispositif parce que les firmes pharmaceutiques ne l'aiment pas et que dans tous les pays riches, il y a des gros laboratoires pharmaceutiques qui constituent des lobbies politiques extrêmement puissants. C'est sans doute un des freins."

"Aujourd'hui, il n'y a que Pfizer, Moderna et AstraZeneca qui peuvent sous-traiter"

Sans cette option d'une licence obligatoire, il faudrait augmenter les capacités de production, et donc construire de nouveaux sites ou sous-traiter. "Il n'y a que Pfizer, Moderna et AstraZeneca qui peuvent aujourd'hui soit sous-traiter, soit construire des sites de production", explique Nathalie Coutinet. "Ils sont enclins à le faire, mais ça met beaucoup de temps; malheureusement", déplore-t-elle

"L'ARN messager, c'est aussi une technique particulière, tout le monde ne peut pas le produire", conclut l'économiste, qui espère que le vaccin AstraZeneca, qui est plus traditionnel, "soit produit en plus grand nombre."