Télétravail 2:56
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Maud Descamps, édité par , modifié à
L'essor du télétravail en raison de la crise du coronavirus a permis aux entreprises d'aller chercher de nouveaux profils et de nouvelles compétences. Avec l'élargissement des bassins géographiques du recrutement, auparavant très liés aux métropoles, les salaires pourraient par ailleurs durablement baisser.
DÉCRYPTAGE

Et si le télétravail ouvrait de nouvelles perspectives aux entreprises et aux salariés ? Depuis un an et le début de la crise du coronavirus, travailler de chez soi est devenu une pratique courante et même encouragée. Avec cette nouvelle habitude, certaines entreprises ont réalisé qu'elles n'avaient plus besoin de se limiter à leur zone géographique pour procéder à des recrutements. Au contraire : le télétravail leur a permis d'aller chercher de nouvelles compétences au-delà des métropoles et zones urbaines.

"On ne se pose plus la question"

Avec la généralisation du télétravail, les entreprises recrutent bien au-delà de leur bassin géographique habituel. Le phénomène est relativement récent et pourtant, il a complètement modifié les habitudes. Il en est ainsi pour Arnold Zephir, co-fondateur d’une entreprise de 50 salariés dans le numérique à Paris, qui s'est rendu compte de ce changement de paradigme de façon cocasse. "On a un nouveau salarié qui est arrivé récemment. J'ai découvert qu'il était à Lille. Ça fait trois mois qu'on a commencé le recrutement avec cette personne et jamais on s'est posé la question de où il était physiquement."

"Je me souviens qu'il y a deux ans environ, on avait eu une phase de recrutement et on avait refusé un candidat qui était à Carcassonne", poursuit le dirigeant. "Il était bon, c'était quelqu'un qui collait très bien au poste. On s'était dit 'non, il ne pourrait venir qu'une journée par semaine, c'est embêtant'. Maintenant, on ne se pose plus la question." Autrement dit, ce candidat de l'Aude serait embauché dans l'entreprise francilienne.

Une "marge de manœuvre" pour les salariés

Le changement est aussi notable du côté des candidats. "Il y avait une contrainte importante pour les salariés, sur le temps de trajet par exemple, en particulier dans les grandes métropoles. Les gens pouvaient avoir des difficultés à concilier travail en ville et vie de famille, parfois à des centaines de kilomètres. Ces situations aujourd'hui sont complètement bouleversées", analyse sur Europe 1 Jean-François Amadieu, professeur de gestion.

Cette nouvelle configuration donne selon lui une "marge de manœuvre" aux salariés... qui restera toutefois réservée aux plus hauts placés. "C'est essentiellement les cadres qui vont être les grands bénéficiaires de ces nouvelles souplesses, de ces nouvelles possibilités. D'abord parce qu'ils ont de meilleurs conditions de télétravail. Ensuite parce qu'ils sont en meilleure position pour négocier avec l'employeur potentiel", nuance Jean-François Amadieu. 

Des profils seniors de nouveau accessibles

Pour Arnold Zephir, recruter loin de son siège permet en effet d'aller chercher de nouvelles compétences. "On arrive à recruter des profils un peu plus expérimentés", assure Arnold Zephir. "On a bien vu ce phénomène : des ingénieurs ou des commerciaux très expérimentés de 45, 50 ans sont partis en province. Maintenant, on peut se permettre de les embaucher alors que ces profils qui étaient restés à Paris étaient à des prix déraisonnables pour une société comme la nôtre."

Ces changements d'habitudes se perçoivent aussi pour des entreprises de province, qui vont pouvoir recruter des profils bien spécifiques  : une entreprise dans un environnement industriel dans les Hauts-de-France, par exemple, pourra recruter un salarié qui habite dans le Morbihan ou sur la Côte basque sans devoir le convaincre de déménager. 

Vers une baisse notable des salaires ?

De plus, il y a un intérêt économique à recruter en province quand on est une entreprise basée à Paris. C’est ce qu’observe David Beaurepaire, directeur délégué du cabinet de recrutement Hellowork : "cela va très probablement avoir un impact sur les salaires, de l'ordre de 10 à 15% en deçà des salaires qui peuvent être pratiqués en Île-de-France", assure-t-il. "Après, il faut bien prendre en compte qu'il y a des frais de déplacement. Qui va prendre en charge ces frais de déplacement si vous habitez à Marseille et que vous devez vous rendre sur votre lieu de travail trois fois, quatre fois par mois, en Ile-de-France ?"

Une question importante dans ce nouvel environnement, qui montre que le phénomène du télétravail a donc ses limites. Par ailleurs, les entreprises qui sont prêtes à passer à 100% de télétravail sont rares. Les grosses sociétés comme Twitter ou Amazon, qui avaient opté pour cette option et permis à certains salariés de travailler depuis l’autre bout du monde, sont en train de revenir sur ce fonctionnement et privilégier quelques jours de présence au travail. Preuve que la solution pourrait se situer dans ce "flex office", néologisme signifiant un mélange entre présentiel et télétravail.