Crèche enfant bébé 1:28
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Virginie Riva, édité par Mathilde Durand , modifié à
Le port du masque obligatoire pour les adultes en crèche aura-t-il un impact à long terme sur la sociabilisation et l'apprentissage du langage des plus jeunes ? Les professionnels de la petite enfance tentent de s'adapter au protocole sanitaire sur le terrain, tandis que les spécialistes s'inquiètent des conséquences à long terme. 
DÉCRYPTAGE

Depuis l'apparition de l'épidémie de Covid-19, les Français ont pris l'habitude de porter un masque pour limiter la transmission du virus dans de nombreuses situations. Mais l'impact sur les plus jeunes, notamment les nourrissons et jeunes enfants, inquiètent les professionnels de la petite enfance, masqués pendant leurs journées de travail, et certains spécialistes. "Il est vrai que les personnels de crèche commencent à observer des effets : cela commence à durer un petit peu trop et on se pose des questions", confie Isabelle Filliozat, psychothérapeute et spécialiste de la petite enfance, sur Europe 1.

"Il commence à y avoir des études, parce qu'on observe que les enfants rient moins et ont quelques retards de développement", ajoute la spécialiste en nuançant ses propos : "Il ne faut pas non plus paniquer. Regarder le visage et avoir des interactions avec un adulte fait partie de ce qui est nécessaire pour le développement harmonieux de l'enfant. Mais quand on ne peut pas, quand c'est compliqué, ce qui est retardé pourra reprendre par la suite." Il n'en est pas moins nécessaire de mesurer la réalité de ces effets, assure Isabelle Filliozat. 

Des troubles du langage et de l'apprentissage des émotions redoutés

Et les constats sont déjà là. Une étude récente, réalisée auprès de 600 professionnels de la petite enfance, met en garde sur les conséquences du port du masque pour l'apprentissage du langage, notamment chez les enfants de 18 mois. Une alerte partagée par le pédopsychiatre Gilles-Marie Valet. "L'enfant a besoin de comprendre et de voir que les mots sortent bien des lèvres et pas effectivement de n'importe où", explique-t-il.

"Les interactions sont absolument nécessaires à la construction de l'architecture du cerveau et c'est dans l'interaction que l'enfant grandit et s'épanouit", ajoute Isabelle Filliozat, rappelant que ces conclusions ne sont pas encore certaines et concerneraient davantage les enfants qui passent une dizaine d'heures par jour à la crèche, auprès de personnels masqués. 

Outre le langage, le masque pourrait aussi troubler le développement de l'empathie et l'apprentissage des émotions chez les plus jeunes qui répondent aux mimiques, aux sourires en observant le visage des adultes autour d'eux. "Il est clair que s'il y a trop d'heures par jour pendant lesquelles les tout-petits sont exposés à une personne masquée, il va y avoir un déficit", affirme la spécialiste. "Ce qu'on ne sait pas encore, c'est comment on va pouvoir récupérer ce déficit. Mais nous avons à le prendre en compte."

Sur le terrain, les professionnels s'adaptent

Sur le terrain, les professionnels de la petite enfance se sont adaptés. Sandra, auxiliaire de crèche, est entourée d'enfants de 9 à 18 mois. Ils viennent de se réveiller de la sieste et réclament des câlins. Pour cette activité, le masque de la jeune femme ne les dérange pas le moins du monde, mais pour tout le reste, le personnel a dû changer ses méthodes, en surjouant beaucoup.

"On articule beaucoup plus quand on parle, on utilise beaucoup plus les signes non verbaux comme les yeux, les mains. Pour les comptines, on est obligé de chanter un peu plus fort", raconte-t-elle. "Et quand il y a une règle à dire, je reste quand même un peu plus d'une minute avec mes yeux figés pour leur montrer vraiment que je ne rigole pas."

Enlever le masque pour changer une couche, lorsque la personne est seule avec l'enfant, le personnel de la crèche y a bien pensé. Mais aujourd'hui, ce n'est pas autorisé dans les protocoles sanitaires actuels.

Le modèle norvégien ?

L'une des solutions réclamée par les professionnels : pouvoir s'équiper de masques transparents. L'Etat en a distribué 500.000, mais ils sont jugés trop complexes à utiliser, car ils se remplissent notamment de buée. Pour Isabelle Filliozat, ces outils ne résolvent pas tout. "Il y a bien d'autres choses que simplement l'image", assure-t-elle. "Le masque transparent, c'est mieux qu'un masque qui cache tout, mais ce n'est quand même pas le rapport direct."

En Norvège, c'est toute la manière de travailler auprès des plus jeunes qui a été revue pour limiter le port du masque. Plus de salariés ont été mobilisés : un adulte pour un groupe de quatre enfants, toujours les mêmes, afin de se rapprocher au maximum du module familial, "dans lequel on ne porte pas de masque", précise la spécialiste qui décrypte ce modèle. Et les adultes ne mangent pas entre eux pour éviter les contaminations. Un système qui permet de limiter les risques tout en gardant une relation plus naturelle avec l'enfant.