Coronavirus Covid-19 Test Dépistage PCR 5:16
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Face au rebond de l'épidémie, les yeux sont rivés sont la politique actuelle de dépistage, qui pourrait connaître une inflexion majeure dans les prochains jours. Mais cela permettra-t-il de juguler la circulation du virus et éviter une seconde vague meurtrière en France ? Quatre experts en débattent sur le plateau d'Europe 1, avec Julian Bugier.
DÉCRYPTAGE

Rebond des hospitalisations, hausse des contaminations, file d'attente interminables devant les laboratoires, délais à rallonge pour les résultats de tests… La circulation du Covid-19 s'accélère en France et paraît difficile à freiner avant le début de l'automne. Que faut-il faire pour ralentir la progression du virus avec les tests ? Doit-on changer de stratégie au niveau national ? Comment réduire les délais et augmenter les chances d'identifier les malades du coronavirus ? Autour de Julian Bugier dans Europe Soir, mardi, quatre experts ont débattu de ces questions capitales pour la situation sanitaire française.

La stratégie actuelle de dépistage est-elle efficace ?

À l'heure actuelle, environ un million de tests sont réalisés chaque semaine en France, contre 700.000 au début de l'été. Cela ne permet pourtant pas de freiner la circulation de l'épidémie, avec un taux de positivité qui continue d'augmenter, dépassant aujourd'hui les 5% (5,2% plus précisément).

"Même en faisant un million de tests par semaine, on arrive probablement à identifier 25 ou 15% des infections réelles", affirme Martin Blachier, médecin épidémiologiste et spécialiste en santé publique. "Aujourd'hui, la stratégie de dépistage n'a aucun impact sur l'épidémie. Vous arrivez à casser peut-être 20% des chaînes de contamination mais le reste continue de progresser."

Doit-on procéder à des dépistages plus ciblés ou tester tout le monde ?

Voilà pour le constat peu reluisant. Deux points de vue s'affrontent en matière d'épidémiologie pour corriger le tir : l'un consiste à dire qu'il faudrait se concentrer, en matière de dépistage, sur les personnes symptomatiques et les cas contacts. Le gouvernement choisit cette voie, avec une volonté de priorisation des tests affichée par Olivier Véran. "On a une grande majorité de patients autres pour d'autres indications qui embolisent le système", pointe Arthur Clément, médecin biologiste, gérant des laboratoires Clément et membre du bureau du syndicat des jeunes biologistes médicaux (SJBM). "Cela empêche de tester les patients qui en ont réellement besoin d'être testés rapidement", avec des délais courts pour les résultats.

De l'autre côté, un collectif de médecins met en cause la stratégie française actuelle et appelle à en finir avec les tests ciblés comme on le fait aujourd'hui. Selon eux, ils ne sont pas efficaces et occasionnent de longues files d'attente. "Les pays qui réservent les tests aux symptomatiques ont beaucoup de morts", avance le professeur Gérard Dubois, spécialiste de santé publique, membre de l’académie de médecine et favorable à ces tests massifs. "Un million, c'est loin de ce qui est nécessaire" pour juguler l'épidémie, selon lui.

Faut-il raccourcir la période de quatorzaine ?

Le Conseil scientifique s'est déclaré favorable à un raccourcissement du délai d'isolement de 14 jours à une semaine pour les personnes testées positives au coronavirus et les cas contacts. Une question de logique, pour Gérard Dubois : "Un malade est contagieux pendant dix jours, quatre jours avant les symptômes, s'il en a, et six jours après. Si on attend les symptômes, on perd déjà quatre jours. Mettons qu'il faille deux jours pour avoir un rendez-vous et qu'on vous donne le résultat deux à quatre jours après. C'est pratiquement au moment où vous n'êtes plus contagieux que l'on va vous isoler", affirme-t-il pour justifier une quatorzaine raccourcie.

Comment faire pour avoir des résultats plus rapides ? 

Le constat frappe de plus en plus de Français : les délais pour avoir les résultats de tests PCR se rallongent, sous le poids du nombre croissant de personnes qui se rendent dans un laboratoire. "Les résultats ne tombent pas dans la journée mais deux, trois, voire quatre jours après. C'est beaucoup trop long", dénonce Vincent Enouf, responsable adjoint du centre national de référence virus des infections respiratoires de l'Institut Pasteur. "En trois, quatre jours, vous avez le temps de rencontrer d'autres personnes. Il faudrait que les personnes se fassent tester et restent chez elles si elles ont des doutes pour éviter toute contamination potentielle."

Une solution émerge cependant : celle des tests groupés, avec la technique dite du "pooling" ("groupage"). "Il s'agit de prendre les échantillons de plusieurs personnes et de les tester ensemble", explique Martin Blachier. "On ne saura pas qui est positif mais si l'échantillon est positif, on va tester chacune des personnes." "C'est une stratégie qui peut être intéressante, mais on perd en fiabilité au niveau du test", nuance Arthur Clément." "On pourrait réaliser trois millions de tests par semaine sans gros efforts avec cette technique", souligne de son côté le Pr Gérard Dubois. "Il faut ajouter le dépistage massif pour trouver les porteurs asymptomatiques."

Sauf que les spécialistes alertent sur d'autres carences face à une capacité de tests saturée : "On a besoin de plus de réactifs et plus d'automates", déplore Arthur Clément, dont les laboratoires procèdent chaque jour à des tests PCR. "Il y a des efforts sur le nombre de lieux et on peut augmenter le nombre de préleveurs, mais on rencontre un problème de disponibilité des réactifs, qui commencent à être en tension", abonde le Pr Gérard Dubois.

Les tests antigéniques peuvent-ils améliorer la donne ?

Enfin, l'espoir de tests rapides anime la communauté scientifique et les autorités : il s'agit des tests antigéniques, réalisés avec "des anticorps qui vont détecter directement le virus" via des prélèvements naso-pharyngés ou par la salive, expose Vincent Enouf. "De l'autre côté de l'Atlantique, ils sont emballés par ces tests", observe Martin Blachier, pour qui cette solution aurait plusieurs avantages. "Ces tests coûtent 5 dollars avec une promesse de rendu en 15 minutes. Des articles disent que ça pourrait se rapprocher de la sensibilité de la PCR. Ce serait un game-changer."

Il y a pourtant quelques points d'interrogation qui demeurent, alors qu'Olivier Véran a annoncé le déploiement de ces tests antigéniques "cette semaine". Le premier concerne leur méthodologie. "A priori, ils sont moins fiables. Si l'auto-prélèvement est intéressant, on ne peut pas laisser une circulation virale se faire sur la base de mauvais prélèvements par les patients", prévient Arthur Clément. La seconde inconnue est liée à la capacité de cette méthode d'un nouveau genre à pallier les limites des tests PCR actuels. "Il faut multiplier les types de tests, mais je ne suis pas certain que ces tests soient utilisables à très grande échelle", conclut Vincent Enouf.