Coronavirus : la chloroquine, un médicament qui fait débat

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Julien Ricotta, avec Eve Roger , modifié à
Plusieurs médecins, dont le professeur Raoult à Marseille, poussent pour recourir à la chloroquine, un antipaludéen qui pourrait être efficace contre le coronavirus. Mais une grande partie de la communauté scientifique est nettement plus nuancée.
ANALYSE

Dans le monde entier, des scientifiques et des médecins s’affairent pour trouver un remède contre le coronavirus. Un médicament, la chloroquine, nourrit de grands espoirs pour une partie des équipes médicales. Le professeur Raoult, à Marseille, préconise depuis des semaines le recours à cet antipaludéen. Il a même commencé à en prescrire à tous les patients souffrant de Covid-19 et qui le réclament, quitte à s’attirer les foudres de ses confrères.

Car de nombreux infectiologues contestent l’efficacité de la chloroquine et demandent des études plus poussées avant d’envisager des tests à grande échelle. Lundi soir, le Haut conseil de santé publique a même recommandé de ne pas l'utiliser, sauf pour des formes graves, a indiqué Olivier Véran.

L’étude du professeur Raoult jugée insuffisante

Le recours à la chloroquine a certes fonctionné sur certains patients. Le professeur Raoult a effectué une étude sur 24 personnes atteintes du coronavirus, à qui il a prescrit un dérivé de la chloroquine, de l'hydroxyl-chloroquine, associé à un antibiotique. Au bout de six jours, les trois quarts d’entre eux n’avaient plus de virus dans le nez ni dans la bouche.

Mais cette étude est jugée insuffisante et même contestable par de nombreux infectiologues, à cause du faible nombre de participants, mais aussi parce qu’elle ne démontre pas que les patients vont forcément mieux. Ce n’est pas parce que la charge virale disparaît du nez et de la bouche qu’elle disparaît aussi des poumons, expliquent les pharmacologues.

L’OMS met en garde

L’Organisation mondiale de la santé elle-même a condamné, lundi soir, l’administration de médicaments aux patients infectés avant que la communauté scientifique se soit accordée sur leur efficacité. Elle a également mis en garde contre les "faux espoirs" qu’ils pourraient susciter.

Vincent Enouf, directeur adjoint du centre national de référence des virus respiratoires de l'Institut Pasteur, a rappelé lundi après-midi sur Europe 1 que la chloroquine avait déjà été testée, sans succès, sur des patients atteints du Sars, le coronavirus qui avait causé la mort de plusieurs centaines de personnes en Chine en 2002-2003. "Des tests ont été effectués in vitro, et on voyait un effet. Mais malheureusement, les tests effectués in vivo (sur les patients) lors du Sras, en 2003, n’avaient pas d’effets raisonnables", explique-t-il.

"Aujourd’hui, il faut faire des tests pour vérifier les tests in vitro, ce qui permettra d’identifier ou non une molécule permettant de faire baisser la charge virale chez les patients infectés", préconise-t-il. "Il y a des règles et des moments pour chaque chose, que le plus grand nombre essaie de suivre", ajoute Vincent Enouf. Des tests cliniques sur quatre médicaments, dont la chloroquine, ont justement été lancés au niveau européen. Leurs résultats sont attendus dans les prochaines semaines.

Des effets indésirables

La chloroquine a également des effets indésirables, qui sont cependant connus de longue date. Il existe des risques de problèmes cardiaques, et à long terme pour les yeux. Mais un infectiologue expérimenté, interrogé par Europe 1, assure que si la chloroquine est utilisée avec précaution par un médecin, comme le professeur Raoult, les patients ne sont pas forcément en danger.

Il ajoute qu’il existe peu de risques de l’utiliser avant les résultats des études officielles, qui vont tomber dans quinze jours ou trois semaines. Mais pour cet infectiologue, si la chloroquine n’est pas utilisée et que les autorités sanitaires concluent à son efficacité, alors on aura le droit d’avoir des regrets.