Brexit : "Nous avons un peu le cœur qui saigne"

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Chaque dimanche soir, François Clauss conclut les deux heures du Grand journal de Wendy Bouchard avec une mise en perspective toute personnelle de l'actu. 

"L’appel de Londres", quand le groupe The Clash, poing levé, sonne la charge du combat rock face à l’ultra-libéralisme thatchérien conquérant. Décembre 1979, et nous l’avons tant aimé, ce Londres rebelle, déjà si européen mais encore si différent. Dans cette Angleterre au cœur si subversif, engoncé dans ce corps si corseté de conservatismes désuets. C’était le temps, où après l’incontournable visite du British Museum, nous arpentions les ruelles pavées autour de Porto Bello Road en quête d’une paire de Doc martins ou d’un 45 tours inédit des Kinks. 

Nous nagions alors dans ce vieux fond inconscient si british de tentation anarchiste, comme le chantaient alors les Sex Pistols et comme le ressentent aujourd’hui un autre groupe iconique de la musique anglaise, les Pet Shop Boys. Ce vieux fond inconscient de tentation anarchiste, dont le Brexit ne serait selon eux finalement que le dernier avatar.

"Nous l'avons tant aimé, cette Angleterre exotique"

Une décennie auparavant nous avions appris à la connaitre, cette Angleterre si proche et si lointaine, lors de nos improbables séjours linguistiques des vacances de Pâques, quand nos parents avaient enfin compris que ce n’était pas en apprenant mécaniquement "run/ran/run, write/wrote/written" à longueur de cours assommants, que nous maîtriserions un jour la langue de Shakespeare, mais qu’il n’y avait rien de mieux que de traverser le Channel en ferry. 

Oui, nous tentions de progresser en langues plus ou moins vivantes et A nous les petites anglaises devint un film culte, générationnel, signé de Michel Lang. Et oui, nous l’avons tant aimé aussi cette Angleterre exotique, malgré son agneau à la menthe du dimanche et ses "red beans" sur pain toasté à 18H heures pétantes. 

Et vingt ans plus tard, nous n’en avons jamais été aussi proche lors d'une scène au cours de laquelle un Mitterrand engoncé coupe un cordon en dentelle de Calais devant une Reine en tailleur rose bonbon pour sceller, via l’Eurostar, ce qu’on pensait alors être une alliance définitive. On baignait dans la douce illusion, à coups de week-end Eurostars, que non, l’Angleterre n’était plus une île, que oui l’Europe irait de Londres à Istanbul. On avait troqué les Docmartins de Porto bello pour les Church’s de Regent Street. On n'allait plus au British Museum, mais on découvrait la fabuleuse New Tate Gallery le long de la Tamise.

Une longue histoire de "Je t'aime moi non plus" 

Bien sûr il y avait encore le temple de Twickenham et son indémodable rituel du Tournoi, pour nous rappeler chaque année, quand venait le printemps, qu’en 80 minutes sur une pelouse verte, nos plus proches voisins restaient aussi nos plus chers ennemis, destructeurs méthodiques de notre "french flair".

Oui, il était bon d’être si opposés et si amis dans nos différences. Mais, même si en ce funeste 31 Janvier 2020, nous avons bien eu un peu le cœur qui saigne en redoutant qu’au-delà de Twickenham, ce match du Brexit triomphant se termine dans un douloureux perdant/perdant. Mais après tout, cela s’inscrit aussi parfaitement dans cette longue histoire "transmanche" du "je t’aime moi non plus".

À Billy, un ami du côté de Londres, j’adressai ce court message vendredi : "Bye bye". Il me répondit instantanément "It’s not a farewell", faisant écho à ce magnifique moment d’émotion, mercredi dernier, à Strasbourg, quand les députés européens, debout, entonnèrent main dans la main cette bonne vieille chanson écossaise : Auld lang synnen.