Semi-conducteur 3:56
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et Aurélien Fleurot , modifié à
En France, plusieurs usines automobiles sont contraintes de réduire leur rythme de production faute de puces électroniques. Le marché des semi-conducteurs, fournisseur essentiel pour les smartphones, les ordinateurs, les consoles de jeux et d'autres secteurs, fait face à un risque de pénurie qui inquiète la France et l'Europe.
DÉCRYPTAGE

Quelques millimètres de technologie qui valent de l'or : les semi-conducteurs, composants indispensables au fonctionnement du moindre appareil électronique, sont en situation de pénurie dans le monde. Depuis plusieurs mois, certains secteurs tirent la langue, depuis les smartphones, avec Apple qui avait dû reporter la sortie de son iPhone 12 de septembre à octobre, jusqu'à l'automobile, avec plusieurs constructeurs contraints de ralentir leur production. Tout le monde demande toujours plus de puces électroniques mais les fournisseurs ont du mal à suivre. L'Europe, dépendante de l'Asie, s'inquiète pour l'avenir.

Des composants essentiels mais longs à produire

Les semi-conducteurs sont un composant essentiel de l'industrie électronique depuis un demi-siècle. "Historiquement, on les trouvait dans les radios, les télévisions, puis les ordinateurs personnels et les téléphones", retrace Aurélien Duthoit, économiste chez l’assureur-crédit Euler Hermès. "Le smartphone représente aujourd'hui 30% des ventes de semi-conducteurs dans le monde, à égalité avec le marché des PC et des serveurs." Au-delà des secteurs historiques, on trouve des puces électroniques partout aujourd'hui : dans l'automobile (10% des ventes), les consoles de jeux vidéo ou encore les réseaux mobile, dont la 5G déployée depuis quelques mois.

À l'exception de l'automobile, tous ces secteurs ont connu une année 2020 exceptionnelle grâce aux multiples confinements dans le monde entier. "On a eu des ventes de smartphone plus importantes qu'attendues avec, par exemple, le grand succès de l'iPhone 12 au quatrième trimestre. À côté, le marché du PC a retrouvé la croissance pour la première fois depuis dix ans avec l'essor du télétravail. Et puis il y a eu le lancement des nouvelles Playstation et Xbox", détaille Aurélien Duthoit. Tout cela a contribué à une augmentation rapide de la demande de semi-conducteurs, alors que les stocks étaient déjà rendus à un niveau assez bas à cause du conflit commercial entre la Chine et les États-Unis.

Sauf que c'est une industrie au temps long qui ne peut pas augmenter ses capacités de production en quelques jours. Il faut environ quatre mois pour produire un lot de puces avec 200 à 300 opérations pour transformer la matière brute, le silicium, en un concentré de technologies. Forcément, il y a donc un temps de latence pour répondre à la forte demande. "À tout cela, s'ajoute une reprise rapide du marché automobile fin 2020. Les constructeurs ont tous augmenté leurs commandes de semi-conducteurs en même temps. D'où la pénurie", explique l'économiste d'Euler Hermès.

L'industrie automobile fortement pénalisée

Une pénurie qui concerne particulièrement les constructeurs automobiles, pas du tout prioritaires dans les livraisons de puces. Aux Etats-Unis, Ford et General Motors ont été les premiers touchés, puis, en Europe, Volkswagen a été l'un des premiers à alerter sur le sujet, avant que, en France, Renault et Stellantis soient à leur tour impactés. Tous le disent, c'est désormais une gestion au jour le jour qui s'est installée, il faut ajuster la production en fonction des composants disponibles et non plus uniquement en fonction des commandes. Renault a par exemple réduit le travail d'un jour par semaine sur plusieurs sites, notamment en Espagne.

Peu de conséquences durables pour l'instant en France mais certaines heures supplémentaires prévues le samedi ont été supprimées à l'usine Toyota d'Onnaing. La pénurie impacte la Yaris version essence, avec une baisse de production estimée à 6% pour le 1er trimestre. De fait, la pénurie de semi-conducteurs concerne des éléments dont les constructeurs ne peuvent pas se passer : pour les aides à la conduite mais aussi pour le système ABS ou tout simplement la fermeture centralisée des portes.

Les constructeurs dépendent en réalité des équipementiers (Bosch, Faurecia, Valéo, Continental) qui eux dépendent des fondeurs, ceux qui produisent ces puces. Un marché très concentré, le Taïwanais TSMC détient 70% du marché à lui seul. "Ce qui est sûr, c'est qu'il y aura du chiffre d'affaires en moins pour les constructeurs automobiles. On estime que c'est peut-être jusqu'à un million de véhicules, dans le monde, qui ne seront pas produits à cause de cette pénurie de semi-conducteurs, qu'on imagine pouvoir durer encore un an", avance Arnaud Aymé, spécialiste automobile au cabinet Sia Partners.

Le nouveau cheval de bataille de la France et de l'Europe

L'enjeu est donc stratégique et l'Europe n'est pas en bonne posture. Il y a 30 ans, le Vieux Continent représentait 44% de la production des semi-conducteurs. Aujourd’hui, l’Asie dévore tout : Taïwan, la Corée du Sud, la Chine et le Japon pèsent à eux quatre 70% du marché. L’Europe, elle, est tombée à un petit 9%, juste derrière les États-Unis (12%). Mais la pénurie actuelle résonne comme une alarme pour tenter de limiter les dégâts avant qu'il ne soit définitivement trop tard. "Il faut être ambitieux, nous n’avons pas perdu la course", a assuré lundi Thierry Breton, commissaire européen chargé de l’industrie.

L'Union européenne va ainsi mettre en place un Projet d'intérêt commun européen (PIEC) sur l'électronique, un vaste plan de réindustrialisation pour les semi-conducteurs, comme celui déjà lancé pour les batteries électriques. Défendu par la France et l'Allemagne, il aura deux objectifs : veiller à éviter le rachat d'entreprises stratégiques par des concurrents américains ou asiatiques et favoriser la relocalisation de la production de semi-conducteurs sur le sol européen. "Notre dépendance vis-à-vis de l'Asie est excessive et inacceptable (…) elle nous rend vulnérable", a déploré Bruno Le Maire.

Le ministre de l'Économie compte également agir à l'échelle nationale. Dans le cadre du plan de relance, la France cherche des candidats pour relocaliser la production de puces. Une entreprise s’est déjà laissée convaincre : X-Fab, un fabricant allemand qui va investir 21 millions d’euros dans son site français, en Essonne, plutôt qu’en Malaisie. C’est un premier pas mais il ne faut pas attendre de miracle. À Bercy, on admet que "le problème ne sera pas réglé en un claquement de doigts, il va falloir beaucoup de temps". Mais il ne faut pas rater le train, l’enjeu économique est énorme : le marché des semi-conducteurs pourrait doubler d’ici 2030.