3:02
  • Copié
Christian de Boissieu, économiste et professeur à l’Université Paris 1, estime que l’idée lancée par le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin, dimanche, selon laquelle les salariés devraient pouvoir acquérir des actions de leur entreprise, peut rééquilibrer le dialogue social, mais vise surtout à déminer la crise sociale.
INTERVIEW

Et si les salariés devenaient actionnaires de leur entreprise ? C’est l’idée lancée dimanche par Gérald Darmanin. "Les salariés deviennent actionnaires de leur entreprise, ils perçoivent leur part sur les bénéfices qu'elle réalise, et ils augmentent leur pouvoir d'achat, en plus de leurs salaires, par l'intéressement", a argué dans le JDD le ministre des Comptes publics, souhaitant là "ressusciter la grande idée gaulliste de la participation".

Mais pour Christian de Boissieu, économiste et professeur à l’Université Paris 1 interrogé lundi sur Europe 1, cette idée, pas évidente à mettre en œuvre, vise d’abord à "déminer un terrain social compliqué" suite à la crise du coronavirus

"Derrière le chômage partiel, vous allez avoir le chômage tout court. Donc on va vers des taux de chômage relativement élevés d’ici la fin de l ‘année 2020 ou début 2021. Deuxièmement, cette crise a aggravé les inégalités. Et troisièmement, cette crise a augmenté la pauvreté", développe l’économiste. "Le fait de remettre ça à l’ordre du jour s’inscrit dans la volonté de déminer un terrain social compliqué. Je pense que ça ne va pas suffire à le déminer", a glissé Christian de Boissieu. 

Mais selon le professeur d’universités, plusieurs facteurs rendent compliquée la mise en œuvre d’une telle mesure. "La bourse, ça monte et ça baisse. L’intéressement et participation, ça n’a de sens que si l’entreprise est performante, fait des bénéfices, puisque c’est principalement une participation aux bénéfices", note l’économiste, alors que nombre d’entreprises sont en grande difficulté. "Et puis il faut bien voir qu’il y a beaucoup d’entreprises en France qui n’ont pas de participation. C’est obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés et plus, et en dessous, les petites entreprises le font ou ne le font pas. Ça couvre 40-45% des salariés en France", estime Christian de Boissieu.

Une chose est sûre, cela ne bouleversera pas le fonctionnement des entreprises concernées. "Quand vous regardez le chiffre, les représentants des salariés sont très loin d’avoir la majorité ou même une minorité de blocage, donc ça ne va pas bouleverser la gouvernance des entreprises en France", estime l’économiste. "Ça peut améliorer le dialogue social dans les entreprises, ça peut rééquilibrer la gouvernance mais le pouvoir ne va pas changer de camp entre les dirigeants, les actionnaires, et les salariés."

Finalement, s’il est une vertu de l’actionnariat salarié, c’est, pour le gouvernement, de faire un geste en direction des plus modestes, sans contraindre les entreprises à mieux rémunérer leurs employés. "Derrière tout ça, il y a le débat sur l’augmentation des salaires. Si monsieur Darmanin parle de ça hier dans le JDD, c’est sans doute parce que le gouvernement est une peu gêné sur la question de l’augmentation des salaires dans un contexte compliqué", analyse Christian de Boissieu. "Dire qu’on va étendre la participation et l’intéressement, c’est-à-dire souvent des revenus différés dans le temps, c’est une manière de contourner le débat compliqué sur l’augmentation des salaires."