TousAntiCovid a été activée plus de 17 millions de fois en un an. 2:09
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La première version de TousAntiCovid, l'application de traçage des cas contacts du gouvernement, est sortie le 2 juin 2020, après la première vague de l'épidémie de Covid-19. Un an plus tard, le bilan est mitigé : si elle s'est progressivement fait une place dans le téléphone de millions de Français, son utilité sanitaire reste à démontrer.
DÉCRYPTAGE

C'était il y a (déjà) un an : le 2 juin 2020, le gouvernement sortait StopCovid, une application de traçage des cas contacts du Covid-19 100% made in France, développée par un consortium d'entreprises tricolores. Au sortir du premier confinement, elle devait servir à suivre la propagation de l'épidémie et avertir les utilisateurs d'un risque de contamination. Après de premiers mois difficiles, face au scepticisme de la population, le gouvernement a changé son fusil d'épaule : renommée TousAntiCovid, l'application a été repensée pour être utilisée activement au quotidien. De quoi élargir son usage, mais pas suffisant pour justifier son utilité sanitaire.

Un nombre d'utilisateurs réels inconnu

Aujourd'hui, impossible de savoir exactement combien de Français ont téléchargé TousAntiCovid. Le cabinet de Cédric O, le secrétaire d'État au Numérique, et la Direction générale de la Santé ont arrêté de communiquer ce chiffre il y a plusieurs mois, refroidis par le comptage au jour le jour de StopCovid, la première version de l’application. Lors des trois premières semaines, elle avait été téléchargée 1,9 million de fois pour seulement… 14 notifications envoyées. Et l'été n'avait pas amélioré les choses, loin de là : l'application était désinstallée plusieurs dizaines de milliers de fois chaque jour.

Le seul chiffre officiel est celui des activations : 17,5 millions depuis un an, à la date du 2 juin. Sachant que certains utilisateurs l’activent et la désactivent de temps en temps, il y a des doublons et le nombre réel d'utilisateurs se situe en-deçà. Reste que TousAntiCovid a bel et bien fini par être adoptée par une large portion des Français. Le bascule a eu lieu lors du deuxième confinement, quand le gouvernement a intégré les attestations numériques dans l'application. En un mois, de fin octobre à fin novembre, le nombre d'activations avait été multiplié par cinq, de deux à dix millions.

Le couteau-suisse du Covid

"Je m'en sers pour regarder l'évolution du nombre de cas de temps en temps. Mais c'est surtout pratique pour les attestations. Quand il fallait en faire, je me servais de l'application tout le temps", raconte Aurélie, 44 ans, à Europe 1. Un usage à l'image de ce qu'avait souhaité le gouvernement. Au-delà du changement de nom, survenu en octobre, TousAntiCovid est passée d’un outil de traçage mal compris à une sorte de couteau suisse du Covid, une application que l'on consulte régulièrement et de façon active.

C'est dans cette logique que les récentes mises à jour ont ajouté toujours plus de fonctionnalités. Dernière en date : TousAntiCovid Carnet, un espace dans lequel chacun peut entrer les résultats de ses tests PCR et antigéniques, ainsi que son certificat de vaccination (première et deuxième dose), simplement en flashant un QR code sur la feuille remise par le médecin. "C'est vrai que si le vaccin n'était pas à rentrer dans l'application, peut-être que je ne l'utiliserais plus", estime Laura, 23 ans. 

Et TousAntiCovid va se rendre encore plus utile à partir du 9 juin puisqu’elle servira de pass sanitaire pour les voyages ainsi qu'à flasher les QR code à l’entrée des restaurants et des salles de sport. Ce qui devrait naturellement doper le nombre d'activation. Christophe, 51 ans, fera partie de cette vague. "J'avais commencé à la télécharger il y a quelques mois mais on me demandait un certain nombre d'informations et je n'étais pas trop en accord par rapport à cette 'l'intrusion'. Mais j'envisage de la télécharger quand même parce que j'ai l'intention de voyager cet été en Europe", explique-t-il à Europe 1.

Un impact sanitaire impossible à mesure

Reste la question de l'efficacité sanitaire de TousAntiCovid. "En alertant les gens, on leur a permis de se soigner plus vite, on a évité des réanimationss et des morts", assure-t-on au cabinet de Cédric O. La réalité est un peu plus nuancée. En un an, 200.000 personnes ont été notifiées d’un cas contact et 317.000 se sont déclarées positives dans l’application soit… 5% du nombre total de cas de Covid en France. Trop peu pour justifier de son utilité dans la lutte contre l'épidémie.

D'autant qu'au-delà des chiffres, le vrai problème de l'application est l'absence d'analyse statistique poussée. Les données collectées sont complexes à traiter car totalement anonymisées, conformément à la volonté du gouvernement. Mais elle ne sont pas non plus croisées avec l'évolution de l'épidémie. Résultat, impossible de savoir précisément combien de cas ont pu être évités grâce à l'application. Interrogé par Le Monde à ce sujet, Bruno Sportisse, le président de l'Inria, maître-œuvre de TousAntiCovid a simplement jugé le sujet "important" sans évoquer une possible évolution.

Pas de fausse note (pour l'instant) mais pas de coup d'éclat

Faute de résultats flamboyants à avancer, Bercy met en avant le coût limité du projet : environ 9 millions d’euros en un an, en additionnant conception, réalisation et maintenance. "C'est moitié moins que l'application allemande", souligne le cabinet de Cédric O. Mais le gouvernement est peut-être allé un peu trop vite en besogne justement : le Parquet national financier enquête actuellement sur des soupçons de favoritisme lors de l’attribution des marchés publics pour la maintenance de l’application. À Bercy, on concède que les processus ont été menés "dans l’urgence", contexte sanitaire oblige, "mais dans les règles".

Le bilan est donc mitigé pour TousAntiCovid. Son impact sanitaire, difficile à évaluer, est peut-être sous-estimé. "Si TousAntiCovid est adoptée par 30% de la population, on a projeté que cela permet de réduire la tension hospitalière à un niveau soutenable", expliquait en novembre dernier à Europe 1 Chiara Poletto, chercheuse à l'Inserm qui travaille sur un projet d'évaluation de l'application. Or, le chiffre de 30% n'est sans doute pas loin d'être atteint. Quoi qu'il en soit, le cabinet de Cédric O fait savoir que le ministre est "fier du travail accompli". Et conclut avec humour :  "Vivement qu’on n’ait plus besoin de cette application. Ça voudra dire que l’épidémie est derrière nous."