Emmanuel Macron a fait de la lutte contre la consommation excessive d'alcool l'un des axes principaux de son plan anti-Cancer (photo d'illustration). 3:45
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Mathieu Charrier et Jean-Jacques Héry, édité par Margaux Lannuzel
Emmanuel Macron a fait de la prévention face aux excès de consommation d'alcool l'un des axes de son plan de lutte contre le cancer, présenté jeudi. Mais en France, entre habitudes solidement ancrées et poids des lobbys, la tâche ne s'annonce pas simple. 
ENQUÊTE

"Prévenir les excès" de consommation d'alcool, à l'origine d'un cinquième des cancers évitables. Au côté de la lutte contre le tabagisme, c'est l'un des axes présentés comme prioritaires par Emmanuel Macron, jeudi, dans le cadre du plan décennal de la France face au cancer. Le chef de l'Etat a d'ores et déjà égrené les contours de futures mesures, dont des pictogrammes sur les bouteilles… Mais peuvent-ils vraiment être efficace, dans un pays où les mauvaises habitudes sont solidement installées et les lobbys puissants ? Europe 1 a enquêté. 

Consommation régulière et "binge drinking" 

Le constat est accablant : selon les tous derniers chiffres de Santé Publique France, 16.000 décès du cancer sont dus à la surconsommation d'alcool chaque année. Il faut dire qu'en moyenne, chaque Français de plus de 15 ans consomme annuellement près de 12 litres d'alcool pur. Le chiffre est certes en baisse continue depuis les années 1960, mais il reste très élevé et classe la France à la sixième place des 34 pays de l'OCDE en termes de consommation. 

Deux problèmes ont été identifiés comme prioritaires. D'abord, celui de la consommation régulière d'alcool, qui concerne plutôt les plus âgés - une personne de plus 65 ans  sur quatre boit de l'alcool quotidiennement. Et ensuite, le fameux "binge drinking", surtout constaté chez les jeunes : 13% des 18-24 ans déclarent avoir été ivres au moins 10 fois dans l'année. Des excès qui entraînent notamment des cancers de la bouche, de l'œsophage, du larynx ou encore du foie. 

"Tout doit se jouer dans l'éducation"

Concrètement, selon les déclarations d'Emmanuel Macron, des repères "plus visibles et plus lisibles" devraient voir le jour, directement sur les bouteilles. Le chef de l'Etat a demandé au gouvernement de lui faire des propositions dans les prochaines semaines. Selon nos informations, il pourrait notamment s'agir de rappels des repères à ne pas dépasser selon Santé Publique France : pas plus de deux verres par jour, et pas tous les jours. 

Mais comment de telles mesures seraient-elles accueillies en France ? "C'est sûr que ça ne va pas être beau si on met des grosses étiquettes sur les bouteilles de vin, ça va gâcher un peu le produit", réagit au micro d'Europe 1 Franck Saint-Denis, caviste à Paris. "Indiquer sur le bouteille, je pense que ça n'est pas une nécessité. Ca n'empêchera pas les gens qui boivent avec excès de boire avec excès. Tout doit se jouer dans l'éducation, en expliquant aux jeunes que c'est un produit noble qui doit être apprécié à sa valeur."

Principales cibles de la mesure, les plus jeunes semblent en tous cas sceptiques quant aux éventuelles étiquettes. "Je ne pense pas que ça change quoi que ce soit", témoigne une jeune femme, qui reconnait au micro d'Europe 1 boire "beaucoup, de la bière, un peu de Martini, et du vin aussi". "En bar, ça ne changera absolument rien, les gens ne verront pas l'étiquette", renchérit un autre. "Comme pour les cigarettes, c'est surtout des changements de prix qui feraient changer les consommations, à mon avis."

Un volontarisme politique freiné par les lobbys

Ces habitudes solidement ancrées ne sont pas le fruit du hasard. Car dans notre pays, lorsqu'il s'agit d'alcool, la volonté politique se heurte systématiquement aux très puissants lobbys du vin et des spiritueux. Des alcooliers qui ont énormément de relais et arrivent à peser sur les débats, en surfant sur l'imaginaire collectif dans lequel la France est le pays du vin. 

Ce "bras de fer" entre "hygiénistes" et "bons vivants" a poussé le gouvernement à reculer à plusieurs reprises. Cela a notamment été le cas avec le "Dry January", une opération qui propose de ne pas boire d'alcool pendant le mois de janvier pour prendre du recul sur sa propre consommation. Elle devait être soutenue par l’agence nationale Santé publique France… Mais sous la pression, l’Etat ne s’est finalement pas impliqué - alors que chaque mois de novembre, les pouvoirs publics soutiennent le mois sans tabac.

Le gouvernement n'arrive pas non plus à imposer un agrandissement du logo "interdit aux femmes enceintes", qui doit figurer sur la contre-étiquette des bouteilles d’alcool : les alcooliers bloquent toute discussion au-delà de 8 mm, évoquant une image "trop mortifère". À noter enfin que la France n’a jamais réussi à imposer un prix plancher sur l’alcool, c’est-à-dire un prix "minimum" en dessous duquel on ne pourrait pas vendre un litre d’alcool… Malgré l’efficacité reconnue de la mesure pour limiter la consommation à risque.