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Pourquoi la France ne relance-t-elle pas la construction de bunker, contrairement à de nombreux pays européens ?

Maud Baheng Daizey - Mis à jour le . 4 min
Pourquoi la France ne relance-t-elle pas la construction de bunker sur son territoire, contrairement à de nombreux pays européens ?
Pourquoi la France ne relance-t-elle pas la construction de bunker sur son territoire, contrairement à de nombreux pays européens ? AFP / © LECLERCQ Olivier / hemis.fr / Hemis via AFP

Alors que les conflits mondiaux se multiplient et s’intensifient, la France et l’Union européenne cherchent à renforcer leurs capacités militaires et leur poids dans la balance géopolitique. Forte de sa dissuasion nucléaire, la France refuse de réhabiliter ou construire de nouveaux bunkers, contrairement à certains de ses voisins.

Avec les guerres en Ukraine et au Proche-Orient, la France et l’Union européenne cherchent à renforcer leurs capacités militaires et leur poids diplomatique à l'international. Mais si certains de nos voisins européens se penchent sur leurs abris antiatomiques, ce n'est pas le cas de la France, qui préfère sa dissuasion nucléaire. 

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La dissuasion nucléaire, unique atout de la France ? 

Une grande disparité de couverture d’abris antiatomiques de la population subsiste entre les pays européens. En Suisse par exemple, la capacité totale des bunkers utilisables permet de protéger 100% de sa population, seulement 4% en France. Suivent de près la Finlande (90%), le Danemark (80%), la Suède (70%), ou encore la Norvège (45%). 

D'autres pays européens qui ne bénéficient pas d’une telle couverture ont commencé depuis le début de la guerre en Ukraine à inventorier leurs bunkers, et estimer leur réhabilitation.  

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C’est le cas de l’Allemagne, qui s’est lancée en novembre 2024 dans un inventaire national, après que la Russie a testé en vol des missiles capables de toucher des villes européennes. En plus de l’inventaire, un plan de rénovation et d'aménagement de ses abris antiatomiques a été mis en place, tout comme en Suisse. 

Alors, pourquoi un tel immobilisme de l'État français ? “Garante de la survie de la Nation”, la dissuasion nucléaire française a une vocation “exclusivement défensive.” La France dispose de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, et de Rafale et ravitailleurs stratégiques. Son arsenal de têtes nucléaires, un peu moins de 300, est le quatrième plus important du monde derrière la Russie, les Etats-Unis et la Chine.  

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Ces missiles bénéficient de lanceurs d'engins permettant d’atteindre n’importe quelle localisation dans le monde. Les sous-marins sont quasiment indétectables et peuvent “infliger à un adversaire des dommages absolument inacceptables, principe fondamental de la dissuasion”, peut-on lire sur le site gouvernemental Vie-publique.fr.  

"Un aveu de faiblesse"

Mais les dernières générations de missiles, qu’ils soient hypersoniques ou a propulsion nucléaire (Burevestnik 9M730, Tsirkon 3M22…) sont capables de changer de destination en vol, rendant très complexe toute interception. La dissuasion nucléaire peut-elle encore servir face à ces missiles ? Loin de là, selon Karim Boukarabila, fondateur et PDG de Bünkl, entreprise spécialisée dans la sécurisation d’enceintes publiques et privées.  

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En matière de missiles nucléaires, “les Russes ont 30 ans d’avance sur la France”, explique-t-il. “Et dans 30 ans, les Russes auront à nouveau 30 ans d'avance. Pour moi, la dissuasion nucléaire avait un sens du temps de la guerre froide.” 

“L’enjeu, c’est cette capacité à ne pas pouvoir être arrêté. Or la Russie, la Chine et d'autres pays, ont fait la démonstration de nouvelles générations de missiles hypersoniques innarêtables”, témoigne le fondateur de Bünkl. Selon lui, reconstruire des bunkers antimissiles "serait alors un aveu de faiblesse et un reniement d’une partie de notre histoire car après la guerre, la France a décidé, justement grâce sa doctrine nucléaire, de ne pas dépendre totalement de son allié américain."

De plus, comment financer un projet de bunkers pour tous les Français avec l’immense dette publique du pays ? Et surtout, sur quels terrains ?

Karim Boukarabila relève "une augmentation des demandes, sachant que peu se transforment en commandes. Les gens s’interrogent sur l'avenir, se renseignent pour préserver leurs familles… des freins psychologiques persistent, comme celui du jugement par les proches”, détaille-t-il. 

Une autre analyse de la société Artemis Protection, spécialisée depuis 2020 dans la construction d’abris antiatomiques préfabriqués, met l'accent sur des demandes rythmées par les allocutions présidentielles. 

“Les abris antiatomiques français ne résistent pas à la Tsar Bomba” 

“À nos débuts, nous n’avions quasiment aucune demande, le but étant de proposer des solutions face à un incident nucléaire, qui demeure peu probable”, explique le représentant d’Artemis. “Depuis la guerre en Ukraine, on est passé de 40 demandes par semaine à 40 demandes par jour”, un nombre qui varie avec les allocutions d’Emmanuel Macron.

“L’inquiétude ne réside plus forcément dans la bombe nucléaire, mais dans les cyberattaques, les attaques sur les infrastructures énergétiques, l’empoisonnement d’une population... La guerre nucléaire ne couvre qu’une partie de ces inquiétudes.” 

Chez Artemis Protection, “nous avons l'impression que le débat sur la protection nucléaire est inaudible en France”, et rappelle que “les abris antiatomiques français ne résistent pas à la Tsar Bomba, la bombe russe." Alors, pourquoi ne pas rattraper ce terrible retard ?

Pour une question de rentabilité, selon la société Artemis, pour qui la France ne pourrait pas se lancer dans un plan de construction. "Proposer un parapluie européen rapporte bien plus d’argent : le plan de défense à 800 milliards de l’Europe est d’ailleurs plus un plan d’armement que de défense civile”, estiment-ils.  

De son côté, le SGDSN, le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale, s’est fendu d’un sobre communiqué à notre demande d’interview. Il a rappelé que “s'agissant de la dissuasion nucléaire, un travail de révision de l'ensemble de la stratégie nationale est en cours. Il confirmera le rôle central de la dissuasion nucléaire dans la stratégie nationale.”