Les campagnes françaises, grandes oubliées de la crise du coronavirus ?

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Margaux Lannuzel , modifié à
Invitée d'Europe midi, samedi, Salomé Berlioux, fondatrice et directrice générale de l'association Chemins d'avenirs, dénonce "l'obsession maladive des grandes villes" depuis le début de la crise du coronavirus. 
INTERVIEW

"On est en train, collectivement, de construire une vision de la crise qui est complètement déformée", estime Salomé Berlioux. Après des mois d'épidémie de coronavirus, la fondatrice et directrice générale de l'association Chemins d'avenirs, par ailleurs auteure de Nos campagnes suspendues, La France périphérique face à la crise (Ed. de L'Observatoire), pointe un risque : celui d'oublier les campagnes. Au micro d'Europe 1, elle prévient : "Si on a une vision de la crise qui est déformée, on peut penser que les réponses à apporter à cette crise seront biaisées, elles aussi, en partie à côté de la plaque."

Les territoires "qui vont probablement le plus souffrir" de la crise

Salomé Berlioux dénonce d'abord "notre obsession maladive des grandes métropoles". "On parle de Marseille, on parle de Lyon, on parle de Paris et c'est bien normal : c'est là où est le virus." Or, "si on prend un tout petit peu de recul, il est quand même facile de comprendre et de penser que des territoires de la France dite 'périphérique'  - zones rurales, petites villes, zones pavillonnaires et même certaines villes moyennes, qui se sont déjà pris de plein fouet la crise de 2008 -,  vont être les territoires qui vont probablement le plus souffrir des conséquences économiques et sociales de la crise", pointe-t-elle. 

Au plus fort de la crise, c'est-à-dire pendant le confinement, "quand on a regardé en dehors des grandes métropoles, c'était surtout pour regarder notamment Noirmoutier, l'Ile de Ré et La Baule, autrement dit, là où les urbains CSP++ avaient le loisir d'aller se confiner", appuie directrice générale de l'association Chemins d'avenirs. "On a eu une espèce d'image d'Épinal de cette 'France de la province', comme disent les Parisiens, mais qui est complètement à côté de la plaque par rapport à la réalité de la France des territoires."

Selon Salomé Berlioux, celle-ci est toute autre. "La France des territoires, c'est une France qui est structurellement confinée, en un sens. Je vous donne un exemple concret : un jeune que j'ai interrogé, qui habite dans les Hautes-Vosges et qui m'a fait cette remarque que j'ai trouvé vraiment très parlante. Il m'a dit : 'En fait, les urbains, pendant le confinement, sont en train de découvrir ce que nous, à la campagne, même dans les petites villes, on expérimente 365 jours par an, 24 heures sur 24. Ils trouvent qu'ils ont moins accès à leur médecin que d'habitude ? Bienvenue chez nous, on est un désert médical. Ils trouvent que c'est compliqué de se connecter et que ça marche un petit peu moins ? Bienvenue chez nous : fracture numérique." 

 

"Ne pas tomber dans le misérabilisme"

Pour autant, l'auteure dit avoir voulu conserver un "équilibre" en dénonçant les difficultés rencontrées, mais avec la volonté de "valoriser ces territoires et ne pas tomber dans le misérabilisme". "Parce que ces Français ne le souhaitent pas", argue-t-elle. "Ils y sont attachés à leurs territoires, ils en sont fiers et ils se sont engagés à l'échelle de leur commune, à l'échelle de leur département." 

"Je donne la parole à des personnels soignants dans les déserts médicaux, à des élus locaux qui étaient sur le front 24 heures sur 24 pendant la crise, à des professeurs qui ont fait preuve d'une ingéniosité incroyable en laissant les devoirs dans une boulangerie, en faisant des kilomètres pour apporter des cours à leurs élèves…. C'est important de le dire, mais on ne peut pas se reposer uniquement sur l'idée que la France rurale, c'est la France de la débrouille", estime Salomé Berlioux. "Et on ne peut pas non plus rêver d'une revanche des campagnes où, en gros, tous les Bordelais, les Lyonnais et les Parisiens iraient habiter naturellement après la crise, dans l'Ain, dans la Creuse ou dans le Morvan. C'est un peu facile d'imaginer ça et je pense qu'on est loin du compte."