Certains procès se déroulent en visioconférence faut de pouvoir tous se réunir dans la salle d'audience à cause du coronavirus. 3:53
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Marion Dubreuil éditée par Coline Vazquez , modifié à
Invité d'Europe 1, l'avocat pénaliste Christian Saint-Palais alerte sur certaines adaptations de la justice pendant cette crise sanitaire, comme les audiences par visioconférence, et insiste sur la nécessité de "renoncer à l'organisation de certaines quand le critère d'urgence n'est pas là". 

De nombreux secteurs sont contraints de tourner au ralenti en France, paralysée par la crise du coronavirus, et la justice n'échappe pas à la règle. Tous les procès d'assises sont renvoyés à plus tard même si quelques audiences pénales sont malgré tout maintenues, exclusivement devant le tribunal correctionnel. Mais il s'agit d'audiences un peu particulières où la visioconférence avec les prévenus en détention provisoire se généralise. 

C'était la cas notamment mercredi pour Christian Quesada, l'ex champion de jeu télévisé poursuivi pour corruption de mineur devant le tribunal de Bourg en Bresse. L'homme n'a jamais mis les pieds au tribunal et a comparu depuis sa prison en visioconférence.

Seules cinq personnes étaient présentes dans la salle d'audience : le procureur, les trois juges et un greffier. Christian Quesada avait choisi de ne pas être assisté par un avocat. Il a finalement été condamné à 3 ans de prison, sans témoin, ni public, ni journaliste. Un point qui pose question puisqu'il implique l'absence de compte-rendu de cet audience ni de débat public, a regretté l'avocate d'une association de protection de l'enfance, partie civile au procès, estimant que la justice a été rendue dans la pénombre.

Les ordonnances récentes de la chancellerie permettent également des procès avec juge unique là où les décisions étaient collégiales ainsi que la suppression de certaines audiences au profit de procédures écrites notamment en matière civile, faisant craindre aux avocats juristes et magistrats que certaines de ces dispositions perdurent au-delà de l'état d'urgence sanitaire.

Renoncer aux audiences qui ne sont pas urgentes

Une crainte partagée par l'avocat pénaliste Christian Saint-Palais qui tient à alerter sur la situation au micro d'Europe 1. S'il reconnaît que "dans une période aussi exceptionnelle, il y ait des adaptations de l'Etat de droit", notamment avec le recours à la visioconférence pour un procès comme celui de Christian Quesada, "il faut faire attention à ne pas se laisser avoir par le soucis de traiter rapidement trop d'affaires", souligne-t-il, avant d'ajouter : "Il y a des critères d'urgence qui peuvent justifier que l'on renonce à des critères de qualité de l'audience mais il faut faire attention". "Parfois, nous nous trompons collectivement et il faut veiller à ne pas se laisser aller à des procédés qui sont parfois assez confortables, mais qui ne répondent pas aux exigences de la qualité de l'Etat de droit", insiste-t-il.

Selon lui, certaines affaires doivent être repoussées plutôt que d'être traitées dans l'urgence en cette période de crise sanitaire qui restreint les possibilités de la justice et il ne faut retenir que l'examen de celles très urgences. Et si ces dernières existent, elles restent rares, assure l'avocat pénaliste. Il prend l'exemple des comparutions immédiates que certains procureurs choisissent d'organiser mais "qui ne se déroulent pas dans des conditions sanitaires idéales". A l'inverse, le bâtonnier de Paris a, lui, choisi ne ne pas commettre d'office des avocats car "il lui est apparu qu'il était impossible de défendre dans des conditions sanitaires optimales pour le prévenu et pour les avocats. Il faut donc savoir renoncer à l'organisation de certaines audiences quand le critère d'urgence n'est pas là", ajoute-t-il encore. 

Le Conseil d'Etat pointé du doigt

Et pour Me Christian Saint-Palais, cette vigilance est l'affaire de tous les acteurs de la justice : "Je crois beaucoup à l'aptitude des juges à faire ce qu'ils font déjà pour beaucoup d'entre eux, c'est-à-dire à résister à ce mouvement qui est d'avancer coûte que coûte. Il faut adapter les modalités de droits, mais il faut aussi que chacun, à sa place, sache alerter l'autre acteur de la chaîne pénale pour lui dire : 'ici nous ne devons pas avancer davantage'".

Autre acteur invité à jouer ce rôle de contrôle, le Conseil d'Etat. Mais l'avocat regrette que ce dernier n'ai pas répondu à leurs attentes. Il a notamment été saisi lorsque la Chancellerie a décidé qu'il serait possible "d'allonger les détentions provisoires sans même organiser de débat", raconte-t-il, précisant : "Nous contestons très vivement cette disposition prise parce qu'on a renoncé au débat contradictoire, à l'audience, pour garder en détention provisoire de personnes présumées innocentes". "Le Conseil d'Etat n'a même pas jugé utile d'organiser une audience", déplore-t-il, se disant "particulièrement déçu". 

Me Christian Saint-Palais et d'autres membres de la justice envisagent désormais de saisir les instances européennes et assurent qu'ils multiplieront les recours. "C'est en s'exprimant que chacun, y compris chez les citoyens, doit prendre conscience de ça et doit être vigilant", conclut-il.