"On a intégré le réchauffement climatique, il faut maintenant intégrer la pandémie"

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Mathilde Durand , modifié à
Philippe Sansonetti, médecin et chercheur en microbiologie, professeur au Collège de France et professeur émérite à l'Institut Pasteur, publie un ouvrage aux éditions du Seuil : Tempête parfaite. Chronique d’une pandémie annoncée. Au micro de Patrick Cohen, sur Europe 1, il analyse l'épidémie de Covid-19 sous différents aspects et revient sur l'importance d'intégrer les pandémies dans "notre logiciel".
INTERVIEW

L'épidémie de coronavirus poursuit sa progression en France. Plus de 4.000 nouveaux cas ont été détectés au cours des dernières 24 heures, selon un dernier bilan de la direction générale de la Santé. Des chiffres qui suscitent la crainte d'une deuxième vague et qui prouvent que le virus circule encore. Philippe Sansonetti, médecin et chercheur en microbiologie, professeur au Collège de France et professeur émérite à l'Institut Pasteur, publie un ouvrage aux éditions du Seuil Tempête parfaite. Chronique d’une pandémie annoncée. Un mélange de ses chroniques rédigées pendant la crise, enrichies par son regard actuel, afin de comprendre les enjeux de cette épidémie. Il revient, au micro de Patrick Cohen sur Europe 1, sur l'importance d'intégrer les pandémies "dans notre logiciel".

"La ligne de front s'est déplacée"

"Je comprends parfaitement que parler de pandémie hors période d'épidémie, cela n'excite pas l'intérêt des populations et des pouvoirs politiques. Je pense néanmoins que cette pandémie sera un signal important sur fait que c'est quelque chose qu'il faut maintenant intégrer dans notre logiciel", assure-t-il. "On a intégré le réchauffement climatique, la perte de la biodiversité, les désordres écologiques, et ça y'est lié d'ailleurs, il faut maintenant intégrer la notion de pandémie. On ne veut pas rentrer dans ce type de situation sans y être préparé."

Cette épidémie de Sars-COV-2, dont les paramètres étaient très complémentaires selon le scientifique pour aboutir à une pandémie mondiale, a surpris les pouvoirs publics. "On est un peu comme en 1914, on a une offensive, on a du mal, on s'enterre mais il faut bien remonter et faire quelque chose. La ligne de front s'est déplacée, on est dans une situation différente", compare Philippe Sansonetti. "On a en particulier les moyens de diagnostiquer, ce que nous n'avions pas lors de notre entrée dans la crise, ce qui change considérablement la donne dans la mesure où l'on peut isoler les personnes positives et avoir une action efficace de prévention sans avoir à revenir à ce confinement, qui serait une catastrophe du point de vue économique et psychologique."

Alors que le virus circule toujours dans le monde, le médecin insiste sur les enjeux de cette nouvelle phase de la pandémie : l'isolement, le diagnostic mais aussi la nécessité pour les populations de comprendre. "Notre destin est vraiment entre nos mains", assure-t-il. "C'est à nous de comprendre ce qu'il se passe et de prendre des mesures."

Plus de médecine préventive, une meilleure communication 

Une telle catastrophe sanitaire permet aussi de tirer des leçons pour mieux prévenir les prochaines épidémies. Notamment sur la question de la médecine préventive, un sujet cher à Philippe Sansonetti. "Notre pays est un pays qui fait formidablement bien dans le curatif", explique-t-il, en soulignant le travail des soignants et la logistique mise en place au plus fort de l'épidémie. "Mais peut-être une dimension qu'on devrait considérer un peu plus : la protection de l'hôpital en amont. On peut essayer d'améliorer la situation et d'éviter ces surcharges brutales telles qu'on les a vues au cours de cette pandémie."

La communication des scientifiques dans les médias est également questionnée par le médecin, qui écrit que "la science n'est pas un catalogue de réponses toutes faites, c'est un processus en permanente évolution". "L'exposition du scientifique sur le plan médiatique est un exercice extrêmement difficile, on voit la collision entre l'exigence côté média d'une certaine immédiateté, d'un certain commentaire polarisé et c'est très compliqué pour un scientifique", pointe Philippe Sansonetti. "Ce n'est pas comme cela qu'on est formé, qu'on pratique la science." Il voit dans la crise du Covid-19 l'opportunité de réfléchir à une communication différente dans ces périodes de crise entre les médecins, les scientifiques et les journalistes.

Le médecin dénonce notamment la surmédiatisation de certaines voix dissidentes, pourtant minoritaires au sein de la communauté scientifique. "Les choses qui sortent du schéma doivent être prises avec plus d'esprit critique et moins exposées médiatiquement", assure-t-il. Il prend par exemple les polémiques à répétition autour du professeur Didier Raoult, microbiologiste tout comme lui. "Pourquoi combiner une carrière scientifique honorable avec cette espèce d'attitude complotiste et populiste qui a nui considérablement ? Et à l'arrivée tout cela a fait pshit. Les Marseillais sont en train d'attraper le Covid comme les Parisiens, la chloroquine a fait la preuve de son inefficacité in vitro in vivo. Tout cela pour ça et la défiance continue."