"Gilets jaunes" : des annonces suffisantes pour éteindre l'incendie ?

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Edouard Philippe a annoncé une série de mesures, notamment fiscales, pour calmer la grogne des "gilets jaunes". Mais celle-ci s'étend désormais bien au-delà de ce sujet.

Des "gestes d'apaisement" face à une "colère" qui "vient de loin" et qu'il faudrait être "sourd ou aveugle pour ne pas entendre". Voilà ce qu'a proposé Edouard Philippe mardi, à la mi-journée, au cours d'une allocution télévisée depuis Matignon. Le Premier ministre a listé une série de mesures destinées à éteindre l'incendie des "gilets jaunes" qui, depuis plus de deux semaines, expriment leur colère dans la rue. Blocages, barrages, manifestations mais aussi, en marge de ces revendications, des exactions commises notamment à Paris, ont finalement poussé le gouvernement à reculer. "Aucune taxe ne mérite de mettre en péril l'unité de la nation", a justifié Edouard Philippe.

Dans le détail, le Premier ministre a annoncé la suspension pendant six mois de la hausse de la taxe carbone, de la convergence diesel-essence et de la hausse de la fiscalité sur le gazole entrepreneur non routier. Provisoirement, l'exécutif renonce aussi à l'alourdissement des conditions de contrôle technique sur les automobiles. Enfin, "il s'engage aussi à ce qu'il n'y ait pas de hausse du tarif de l'électricité d'ici à mai 2019".

"C'est bien pour un premier temps". Ce faisant, le gouvernement pare au plus urgent. "C'est bien pour un premier temps", a salué le député LREM Aurélien Taché après une réunion de groupe, juste avant l'allocution d'Édouard Philippe. "Cela donne un cap qui va dans le bon sens", a renchéri Sarah El Haïry, élue MoDem, sur Twitter. Quant à Matthieu Orphelin, marcheur du Maine-et-Loire, il a reconnu dans un communiqué que cette mise en "pause" des hausses de fiscalité "était devenue inévitable". Les parlementaires appartenant à l'aile plutôt gauche de la majorité, comme Brigitte Bourguignon, se sont félicités de l'instauration de ce moratoire.

Un moratoire qui doit déboucher sur des "solutions concrètes". Reste à savoir désormais à quoi servira cette pause. À "engager un vrai dialogue sur l'ensemble des préoccupations", a promis Edouard Philippe, qui propose de "réfléchir ensemble au rythme de la transition écologique tout en maintenant son ambition". Ce moratoire doit donner le temps de réunir les "partenaires économiques et sociaux" prêts à se saisir des questions de transition écologique. Du 15 janvier au 1er mars aura également lieu un "large débat sur les impôts et les dépenses publiques". Un "dialogue" afin de mettre en vis-à-vis le niveau des impôts et des taxes d'un côté, et celui des services publics sur les territoires de l'autre. Le tout doit déboucher "sur des solutions concrètes", a martelé le Premier ministre.

"La suite est plus floue". C'est bien de la capacité du moratoire à accoucher de "solutions concrètes" que dépend son succès. "La suite est plus floue", concède Aurélien Taché. Pour Sarah El Haïry, ces "premiers pas doivent permettre l'apaisement", mais "d'autres actes devront être pris après un temps de dialogue dans nos territoires". D'autant que certaines mesures pourraient poser problème : le gel du tarif de l'électricité par exemple, pourrait se traduire par un retour de bâton, puisqu'il s'agit d'un tarif réglementé. En bloquer la progression, c'est prendre le risque que le Conseil d'État oblige plus tard l'exécutif à une hausse plus conséquente pour rattraper le retard pris. Cette solution de court-terme pourrait donc bien se révéler contre-productive dans quelques mois ou quelques années.

"Le sujet, c'est le Smic", pas le carburant. Surtout, ces quelques mesures qui ne concernent quasiment que la fiscalité de l'énergie et l'automobile semblent en décalage avec les revendications des "gilets jaunes". Si la colère de ces derniers s'est bien cristallisée autour de ces questions et du "racket" des automobilistes, elle s'est depuis étendue. Dans un communiqué publié la semaine dernière, des représentants du mouvement ont listé une quarantaine de demandes. Hétéroclites, pas toutes réalistes, elles traduisent néanmoins un sentiment profond et ancré d'injustice sociale en incluant des questions d'emploi et d'augmentation du salaire minimum. Pour Olivier Faure, "le gouvernement veut enfermer le débat dans une fausse alternative : écologie ou pouvoir d'achat, services publics ou impôts. Ce que nous demandons, c'est la justice fiscale, la lutte contre les inégalités sociales et territoriales, une discussions salariale". "Le sujet aujourd'hui, c'est le Smic", abonde son collègue socialiste Guillaume Garot. "La question des salaires et des profits des entreprises se pose."

"Sur les ronds-points, c'est de l'ISF qu'on parle". "Macron et Philippe n'ont pas pris la mesure du moment", estime de son côté Jean-Luc Mélenchon sur Twitter. "On n'apaise pas une révolution citoyenne avec ce genre d'artifices politiciens." D'autres députés de l'opposition, comme le chef de file LR Christian Jacob, ont réclamé la "suppression, pas le report des taxes prévues le 1er janvier 2019". Et tous ont noté le timing choisi par le gouvernement : un moratoire de six mois repousse les décisions après la campagne des européennes, lorsqu'il y a pour lui moins de pression électorale.

L'opposition en est persuadée : ces annonces n'y suffiront pas. Pour l'ex-ministre Guillaume Garot, le problème est ailleurs. "Ce gouvernement est marqué du sceau de l'injustice depuis la suppression de l'ISF, qui va devenir le boulet du quinquennat. Sur les ronds-points, c'est de ça qu'on parle." Il a été rejoint mardi par Caroline Fiat, députée LFI, qui a interpellé Edouard Philippe lors des questions au gouvernement. "Allez-vous rétablir l'ISF dans [le budget 2019] ? La colère ne peut pas être reportée à six mois. La souffrance, c'est maintenant."