"Du Liban à la Corse, de l'Allemagne à la Grèce, il faut du temps pour que les mots en forme d'armes ne deviennent des armures"

3:10
  • Copié
, modifié à

Chaque samedi et dimanche, François Clauss se penche sur une actualité de la semaine écoulée. Aujourd'hui, c'est film, politique et mots d'actualité.

"Clauss toujours". L'humeur de François Clauss, tous les samedis et dimanches matins à 8h55 sur Europe 1. Bonjour François.

Bonjour Julien, bonjour à tous et toutes.

L'insulte, c'est le titre, de ce magnifique film à l'affiche depuis 10 jours, qui vient d'être sélectionné pour concourir aux oscars hollywoodiens dans la catégorie "Meilleur film étranger". Il est signé du réalisateur libanais, Ziad Doueiri, metteur en scène très prometteur, à qui l'on doit une des meilleures séries télévisées du moment, "Baron Noir". L'insulte, c'est le Beyrouth d'aujourd'hui, où planent les fantômes de la guerre civile. C'est aussi beaucoup plus. Comment une simple querelle de voisinage entre un réfugié palestinien et un jeune chrétien réveille, 25 ans plus tard, les vieux démons.

"Tes mots sont inacceptables. La guerre commence comme ça", dit le père du personnage principal. Oui, des mots qui font mal. Les voisins s'en mêlent, les communautés s'affrontent, les médias s'en emparent, la politique en joue et le monde bascule dans la guerre. Oui, c'est un film qui nous parle, magnifique. Et finalement, on le sait depuis Freud, quand on ne met pas un mot sur une douleur, elle reste là, sourde, et se diffuse insidieusement. Et il en est du monde qui nous entoure comme des êtres.

Regardez en Allemagne cette semaine. Voilà un mot qui à lui seul réveille toutes les obsessions du pays. Ce mot, c'est "heimat". Difficilement traduisible en Français, "heimat" c'est à la fois la patrie, la terre des ancêtres mais aussi le lieu où l'on se sent bien. "Heimat" était un mot banni en Allemagne depuis 1945. Il était au cœur de la sémantique nazie : pas un discours d'Hitler sans le mot "heimat". Et voilà que 70 ans après, le très conservateur ministre bavarois de l'intérieur, en charge du dossier des migrants, veut renommer son ministère en "ministère de la heimat", de la patrie, symbole d'une Allemagne qui veut se refermer sur ses frontières. Et voilà qu'on se déchire, de l'extrême droite à l'extrême gauche sur les réseaux sociaux et sur les plateaux de télé. 

Regardez ces dizaines de manifestants en Grèce qui soudain ressortent des vieux drapeaux parce qu'ils ne supportent pas que leurs voisins des Balkans, la Macédoine, porte le même nom que leur région à eux, dans le nord. On manifeste pour un mot ! "Poids des mots, choc des photos", pour reprendre le célèbre slogan de Paris Match. Regardez en Corse cette semaine, cette image si forte, peut-être le premier pas d'une réconciliation. 20 ans après, la veuve du Préfet Erignac revient là où son mari fut assassiné. Dans la foule, le leader nationaliste Gilles Siméoni, qui fut le défenseur d'Yvan Colonna. Oui, l'image est forte mais elle ne suffit pas et les mots de Mme Erignac le rappellent. A l'issue du discours du Président de la République, le leader nationaliste déçu évoquera, je cite, "un discours de vengeance". Là aussi, le mot au pays de Colomba, 150 ans après Prosper Mérimée, résonne étrangement.

On l'a compris, du Liban à la Corse, de l'Allemagne à la Grèce, il faut du temps pour que les mots en forme d'armes ne deviennent des armures. Mais heureusement, il n'y a pas seulement les mots de l'actualité,  souvent les mots du malheur. Il y a aussi les mots de tous les jours, parfois les mots du bonheur. Vous savez, Julien, ceux que parfois on dit avec les yeux.