Impôts, relocalisation : les déclarations de Macron sur l'économie à la loupe

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Mathilde Durand , modifié à
Lors de son allocution télévisée, Emmanuel Macron a évoqué la situation économique de la France. Impôts, emploi des jeunes, souveraineté : le chef de l'Etat a deux ans pour réinventer l'économie. Jean Pisani-Ferry, économiste et directeur du programme du candidat Macron en 2017, commente sur Europe 1 les dernières déclarations du chef de l'Etat.
DÉCRYPTAGE

Emmanuel Macron s'est adressé aux Français dimanche à 20 heures pour ouvrir une nouvelle phase du déconfinement. Il a évoqué la situation économique de la France, lourdement touchée par les conséquences de la crise sanitaire. Alors que 500 milliards d'euros ont été investis pour soutenir les secteurs les plus en difficulté, le chef de l'Etat a exclu d'augmenter les impôts et s'est engagé à reconstruire "une économie forte, écologique, souveraine et solidaire". Jean Pisani-Ferry, économiste et directeur du programme du candidat Macron en 2017, décrypte ces annonces sur Europe 1, orientées vers le futur. Avant tout, "il faut être innovant", estime-t-il. 

Trouver une solution pour la dette

L'économiste se réjouit dans un premier temps de l'abandon d'une augmentation des impôts pour éponger les dépenses réalisées pendant la crise sanitaire. "Il ne faut surement pas augmenter les impôts maintenant, c'est l'erreur qu'on a faite en 2011 : augmenter les impôts trop tôt. Cela a cassé la reprise", explique l'économiste. "Maintenant est ce qu'on s'en sortira sans définir à terme qui va payer et comment ? Non, bien sûr. Il y aura une addition, il faudra la payer. L'avantage qu'on a c'est qu'on a un taux d'intérêt très bas, donc on pourra repousser le problème, mais il se posera le moment venu."

Jean Pisani-Ferry alerte cependant sur la viabilité de cette solution à long terme. En effet, si l'argent "ne vaut rien" actuellement, l'endettement reste une option loin d'être miraculeuse. "Quand on renouvellera cette dette, à un moment les taux d'intérêts seront plus élevés", souligne-t-il. "Mais pour l'instant, on a cette chance, profitons-en."

Retrouver une autonomie, à l'échelle européenne

Dans son allocution, Emmanuel Macron a évoqué "les failles, les fragilités" du pays, notamment sa dépendance économique aux autres pays du monde. "On était un pays qui avait une industrie du médicament, des laboratoires pharmaceutiques, un système qui fonctionnait. Et on a découvert que ce système n'était pas capable de répondre rapidement à l'urgence", constate Jean Pisani-Ferry. "L'idée que l'on peut acheter tout ce que l'on veut à tout moment sur le marché mondial et que c'est notre sécurité, ce n'est pas vrai. Il faut en tirer les conséquences".

"Est-ce que l'on va tout relocaliser ? Evidemment non", nuance l'économiste, qui mise plutôt sur un système d'autonomie à l'échelle européenne. Des mécanismes de sécurité entre pays permettraient d'assurer un approvisionnement. Une solidarité qui reste complexe à mettre en oeuvre, et qui nécessite une entente des Etats. Mais pour Jean Pisani-Ferry, il n'existe pas vraiment d'autre solution pour retrouver plus de souveraineté. "Reconstruire une économie à l'ancienne dans le cadre français nous coûterait un montant astronomique. Ce serait une baisse du pouvoir d'achat supplémentaire par rapport à celle déjà vécue, on n'a pas besoin de ça". 

Soutenir l'emploi des jeunes

le chef de l'Etat a également annoncé dimanche un "investissement massif pour l'instruction, la formation et les emplois de la jeunesse". "Quand une génération arrive sur le marché du travail dans des conditions pareilles, elle risque de le payer pendant longtemps, pas seulement l'année où elle arrive", déplore Jean Pisani-Ferry, qui évoque plusieurs solutions pour alléger le poids sur les jeunes. "D'abord, à ceux qui sont toujours en étude et qui peuvent se former un an de plus, cela peut être utile qu'ils puissent le faire. Et il faut aider l'emploi des jeunes". 

L'économiste évoque la situation de certains élèves, qui ont décroché pendant cette période de confinement et d'instruction à distance. Les jeunes arrivant sur le marché de l'emploi pourraient aider ces derniers, sous la forme de contrats tutorat. Un échange de bons procédés suivi d'une formation qui pourrait permettre aux individus les plus en difficulté de mieux rebondir.

Ne pas revenir "sur les vieux fantasmes"

"La seule réponse est de bâtir un modèle économique durable plus fort, de travailler et de produire davantage pour ne pas dépendre des autres", évoquait le président de la République. La formulation a fait tiquer certains, notamment le "travailler davantage". "Il ne faut rien écarter mais il ne faut pas revenir sur les vieux fantasmes", coupe l'économiste qui déplore une éternelle bataille entre les partisans de la fin des 35 heures et ceux du retour de l'ISF. "On a besoin d'être un peu plus imaginatif."

"L'ambition [d'Emmanuel Macron, ndlr] est mesurée par le fait qu'il lui reste moins de deux ans devant lui, son capital politique est affaibli et donc il ne peut pas formuler un programme très ambitieux pour deux ans. On a besoin de deux ans utiles. La France ne peut pas se permettre d'un gouvernement à la godille", conclut Jean Pisani-Ferry.