EXCLUSIF - Michel Platini : «C'est incroyable ce qui m'est tombé sur la tête»

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Colin Abgrall , modifié à
L’ancien capitaine de l’équipe de France de football, triple Ballon d’Or et dirigeant sportif Michel Platini a répondu aux questions de Jacques Vendroux et de Jean-François Pérès dans Europe 1 Sport, présenté par Lionel Rosso. Un entretien exceptionnel.
EXCLUSIF

Joueur international, sélectionneur de l'équipe de France, co-président du comité d’organisation de la Coupe du monde 1998, président de l'UEFA, Michel Platini est l'une des personnalités les plus influentes de l'histoire du football mondial. En exclusivité pour Europe 1 Sport, il se confie comme rarement, de ses débuts à Nancy jusqu’à l'affaire du "Fifagate". Passionnant et émouvant.

Ses débuts à l’AS Nancy Lorraine : "C’était formidable"

"J'ai passé un entraînement d'une semaine à Metz pour savoir si j'étais apte à jouer au football et ça s'est très bien passé. Puis, à la fin, on a fait des tests cardiaques. Je suis tombé dans les pommes après avoir soufflé de nombreuses fois dans un spiromètre. Metz a demandé que je fasse des tests à Nancy. Je suis allé à Nancy. Les internes ont dit que j'avais un gros cœur et qu'il ne fallait surtout pas faire de sport. Donc on ne m'a pas pris. Mon rêve, c'était de jouer au FC Metz. Mais bon, ça ne s'est pas fait. Je suis allé à Nancy. 

On avait une belle génération, le président Claude Cuny (entre 1967 et 1975 et manager général de 1975 à 1979) avait de l'ambition pour cette équipe et tout s'est bien passé puisque nous avons gagné la Coupe de France en 78 et l'année où on gagne la Coupe de France pour jouer la Coupe d'Europe, malheureusement, patatras. Ils ont fait un très bon recrutement puisqu'il y a eu Bernard Zénier qui est venu, Robert Pintenat, Alain Merchadier. Je me suis blessé pendant 9 mois et puis eux aussi. Et je suis parti à Saint-Etienne. Mais c'était formidable ! Très vite, j'étais douzième homme. J'ai fait mon premier match à Valenciennes en août 1972. On avait une belle équipe, on jouait bien au ballon, on a fini quatrième du championnat de France (lors de la saison 1976-1977)."

Son passage à l’AS Saint-Etienne : "Le club n’avait plus faim"

"Tous les clubs français et des clubs étrangers me voulaient. Normalement, mon premier club, c'était le Valence d’Alfredo Di Stefano, en Espagne. Il est entraîneur, il vient me voir jouer à Nancy contre Bastia. Je fais un bon match et puis ils veulent absolument m'acheter. Nancy veut absolument vendre, mais moi, je décide de ne pas être vendu et d'aller au bout de mon contrat. Ensuite, il y a l'Inter de Milan qui vient me chercher et je signe avec eux en 79. Mais les frontières restent fermées. Les frontières étaient fermées aux étrangers.

Et donc là, il y a tous les clubs français qui viennent me voir, Bordeaux, Paris, Saint-Etienne, Marseille... Et puis je décide d'aller dans le club mythique du moment, Saint-Etienne. Mais quarante ans après, je peux dire que je suis arrivé dans un club qui n'avait plus faim. Les joueurs avaient connu les grandes heures de la Coupe d'Europe et avaient gagné des titres. On a eu des grands moments, des grandes victoires. Mais malheureusement, je pense que le club lui-même n'avait plus faim."

Sa première année à la Juventus de Turin : "20 000 tifosi à l’entraînement"

"Le premier entraînement, c'était irréel. À 6 heures du matin : Toc, toc, toc. Et je me suis dit : ‘Qu'est-ce que je suis venu faire dans ce pays ?’ Je ne parlais pas italien, je ne comprenais pas. À Saint-Etienne et Nancy, quand on faisait le premier entraînement, on passait deux heures sur le terrain, à courir, faire des abdos... Et on sortait, on avait des courbatures de partout. Et là, premier entraînement. On part, on va marcher et au bout d'un quart d'heure, on nous dit : 'C'est fini pour aujourd'hui, retournez à l'hôtel, faites vous masser etc.' Premier entraînement, 15 minutes de marche. J'étais sur les fesses, je n'avais jamais vu ça de ma vie. L'après-midi, on retourne au stade. Entraînement. 20 000 personnes dans le stade. 20 000 tifosi. 20 000 personnes et on fait de la musculation.

Et puis, quand tu fais de la musculation, tu dois faire 20 exercices avec le public qui compte. Tu dois les faire quoi ! La différence entre les entraînements en France et en Italie, c'est que nous, en France, on s'entraînait très fort. En Italie, on JOUAIT très fort pendant 90 minutes. C'étaient les 90 minutes qui comptaient. Pas l'entraînement. La première année, on arrive en finale de la Champion's League et on perd contre Hambourg 1-0 alors qu'on est favori. Si on gagne cette coupe là, on en gagne trois ou quatre de suite."

Le drame du Heysel (le 29 mai 1985, finale de la Coupe d’Europe des clubs champions entre la Juventus de Turin et Liverpool) : "Un drame de vie"

"C'est un drame de vie, même plus qu'un drame de football. Vous savez, quand des gens viennent vous voir dans un stade et qu'ils ne rentrent jamais chez eux, ça fait du mal. On ne joue pas au foot pour ça. Ce n’est pas le film qu'on a rêvé de faire quand on était petit. J'y repense. C'est pour ça que quand je vois ce qui se passe dans les stades, quand je vois que les supporters veulent être debout dans les stades… Méfiez-vous, faites attention. Les supporters qui venaient me voir quand j'étais président de l'UEFA voulaient être debout dans les stades.

Je leur ai dit : 'tant que je suis président, vous ne serez pas debout dans les stades. Moi, j'ai connu des drames, j'ai connu des morts, beaucoup de morts à l'époque. Peut-être après moi, vous ferez ce que vous voudrez. Mais pendant que je suis là, vous ne le ferez pas.' Je pense que c'est important que le match ait été un vrai match. Ça n'a pas été un match galvaudé ni par l'un ni par l'autre. Ça a été un vrai match, donc on a gagné un vrai match.

Après, on me demande si l'on devait jouer ou pas. Oui, il fallait absolument jouer. Il le fallait pour protéger le public. Parce que cela aurait été une guerre civile dans la ville de Bruxelles. À l'époque, les supporters avaient des pistolets, des couteaux et tout ça. S'ils savaient qu'il y avait eu des morts, je pense que ça aurait dégénéré. Heureusement qu'on a joué."

Ses trois Ballon d’Or : "Aujourd’hui, oui, c’est ma fierté"

"Ce n'est pas ma fierté. Aujourd'hui, oui, parce que les gamins, quand ils passent, quand le père me présente, il dit 'C'est Michel Platini, il a trois Ballons d'Or' et là, ils ouvrent des yeux comme ça. Mais pour moi, dans le football que j'ai connu en Italie, avec tous les plus grands joueurs du monde à l'époque, être trois fois meilleur buteur quand on n’est pas avant-centre, c'est plus efficace que d'être nommé trois fois Ballon d'Or. Ce sont les journalistes qui ont décidé que c'était Ballon d'or. C'est la conséquence de ce que j'ai fait en Italie."

L’organisation de la Coupe du Monde 1998 : "J’étais tous les jours au bureau"

"C'était nouveau. J'étais dans les bureaux. On s'intéressait à plein de choses, à l'organisation etc. On était 700 employés. À la fin, il fallait gérer tout ça. C'était sympa. J'ai bien aimé. J'étais tombé avec deux mecs formidables qui étaient Fernand Sastre et Jacques Lambert (directeur du comité d'organisation de la Coupe du Monde 1998). Ils m'ont amené à comprendre un peu l'organisation, la politique et plein de choses. Avant, j'étais joueur ou sélectionneur, donc il n'y avait pas de politique. Là, j'ai appris à voir la politique.

Après, j'étais coprésident, j'aurais pu me planquer, être sur les photos et rien faire, mais j'étais tous les jours au bureau. Et bénévolement, puisqu'on peut dire (ironique) que je suis un mec qui pense à l'argent. Je travaillais pour la FIFA bénévolement. Donc c'était quelque chose que j'ai bien aimé parce qu’entre Fernand et Jacques, c'était bien. Et puis il y avait une deadline le 12 juillet 1998. Ça se terminait, on passait à autre chose. Ça, c'était aussi intéressant."

L’affaire du "Fifagate" : "À la fin, je gagnerai"

"Ils m'ont banni pendant quatre ans. Je me bats toujours et je ne lâche rien. Et à la fin, je gagnerai. Vous verrez. Je n'ai rien fait de mal, mais on m'a viré pour ne pas que je sois le président de la FIFA, on a inventé un arriéré de salaire, un truc bidon, de la corruption... C'est incroyable tout ce qui m'est tombé sur la tête. Le but, c'était de me virer. La Suisse m'a viré. Ils ont inventé un truc pour pas que sur le président de la FIFA, point final. Lui (Sepp Blatter, président de la FIFA de 1998 à 2015) était plutôt sur le départ.

Ce n'est pas un problème pour ma vie. On m'a demandé d'être président de la FIFA. C'est l’injustice qui m'a perturbé. C'est la médiatisation autour de ça qui fait du mal. Quand on vous traite d'escroc, de corrompu, de blanchisseur d'argent, etc. C'est terrible. Tu ne sais pas ce qui t'arrive."

Son élection à la tête de l’UEFA : "Dix vodkas en Géorgie !"

"Le moment de la campagne électorale est marrant parce que tu veux savoir qui vote pour toi. Quand je vais en Géorgie, un jour, j'ai appelé mon épouse. J'en étais à ma dixième vodka. Je dis 'Christelle, je ne sais pas si je serai président, mais je vais finir alcoolique.' Pour que les gens votent pour toi, il faut que tu sois sympa ! Donc, il y a de magnifiques anecdotes. Puis, c'est un monde pas mal. Parce que n'oubliez pas que l'UEFA ou la FIFA aujourd'hui, c'est une administration. Mais le pouvoir, ce sont les associations qui l'ont.

Normalement, quand on dit l'UEFA, c'est 53 associations. Donc, il y a des gens là-dedans qui sont remarquables, qui sont des présidents d'associations, qui en bavent, qui n'ont rien. Tu vas en Moldavie, en Géorgie, au Liechtenstein, ils n'ont rien. Ils ne gagnent jamais un match de football et ils doivent s'occuper de leur pays. Ce n'est pas simple et ce sont des gens formidables avec lesquels je me suis bien entendu et qui m'ont élu pour que l'UEFA aille bien."

De quoi est-il le plus fier ? "J’aime la Ligue des Nations"

"Écoutez, il y a plein de choses qui ont été importantes, mais après, sur tout ce qu'on a fait, on a créé par exemple la Champion's League des jeunes (La Youth League) qui est pas mal. J'aime bien la Ligue des nations parce que la Ligue des nations est quelque chose qui est plus 'honnête', plus normal. C'est-à-dire que les associations nationales jouent en fonction de leur valeur. Ce n'est pas les qualifications pour la Coupe du monde ou pour les Championnats d'Europe où la France joue contre un petit pays.

On a remplacé les matchs amicaux par cette compétition. Les matchs amicaux n'intéressaient personne. On a fait une coupe gérée par l'UEFA, où on a centralisé les droits. On a donné de l'argent à tout le monde. Et surtout, ça permettait aux associations nationales les plus petites de pouvoir vivre un peu. Le rôle du président de l'UEFA, ce n'est pas de faire plaisir à l'équipe de France, mais c'est de penser aux 53 pays qui jouaient, bien sûr."

Son objectif ? "Je veux inscrire le football au patrimoine intemporel de l’Unesco"

"Je trouve que de mettre le football au patrimoine intemporel de l'Unesco, c'est quelque chose de formidable et je suis en train de travailler dessus. Et je suis en train de travailler avec la faculté des sports de la ville de Marseille pour avancer parce que c'est quelque chose qui est un peu compliqué. Je veux que ça soit une valorisation du football, mais quand on met quelqu'un, quelque chose au patrimoine intemporel de l'Unesco, c'est qu'on veut le protéger. C'est là que ça se complique. C'est pour ça que je suis en train de travailler dessus."

Son avenir : "J’ai reçu beaucoup de propositions mais…"

"J'attends de voir comment ça va évoluer. Point final. J’ai reçu beaucoup de propositions de clubs, de médias. Mais il y a de très grandes chances que je ne fasse plus rien du tout parce que je suis bien comme ça."