Douleurs, dérèglement, gestion du poids... Comment les cycles menstruels impactent préparation et performances des athlètes de haut niveau

Facteur à part entière à gérer dans le quotidien d'une sportive de haut niveau, de même que les aspects technique, physique ou mental, le cycle menstruel est susceptible d'avoir de multiples répercussions sur la performance. Outre la contraception, diverses initiatives sont portées pour mieux l'appréhender, jusqu'à potentiellement en faire un allié de la performance.
2011. Trois ans après son titre de championne du monde de boxe, Sarah Ourahmoune, également multiple lauréate du titre national, s’apprête à disputer la finale d’un tournoi organisé par la France à Grande-Synthe, contre une adversaire espagnole. "Le matin, je vais à la pesée. Je savais que je n’étais pas au top et une heure après, je suis dans ma chambre et je vomis partout", témoigne cette dernière pour Europe 1, victime ce jour-là de vives douleurs liées à ses règles.
"Chaque coup (lors du combat, ndlr), je sentais que je perdais beaucoup de sang. J’ai fini par le gagner, mais à chaque fois que je revenais sur le ring, j’étais paniquée", détaille celle qui évoque la menstruation comme une contrainte ayant eu "un vrai impact négatif" sur certaines de ses performances, que cela soit "sur son énergie, sa concentration ou la gestion de son poids". Comme elle, 84% des femmes interrogées lors d’une enquête menée par le ministère des Sports en 2021 ont déclaré vivre cette période comme une difficulté, dans le cadre de leur pratique.
Des contraintes multiples
"Le cycle menstruel est une donnée physiologique qui a une variabilité en fonction des femmes", indique Carole Maître, gynécologue-médecin du sport à l’INSEP, chargée du suivi de nombreuses athlètes. Composé de plusieurs phases et commençant théoriquement au moment des règles, d’une durée de 28 jours en moyenne (mais pouvant s’étendre de 21 à 35 pour un cycle dit "normal"), il est un facteur à part entière à gérer dans le quotidien d’une sportive.

Si les règles douloureuses nécessitent pour beaucoup la prise d’une pilule (qui ne limite pas les capacités, or ressenti d’effets secondaires), parfois même en continu dans le cas des femmes atteintes d’endométriose, d’autres vices du cycle sont susceptibles de venir impacter la performance. Le sport de haut niveau occasionnant par essence une dépense énergétique importante, au vu de l’intensité et de la répétition des entraînements, un dérèglement du cycle peut survenir dans le cas où elle ne serait pas compensée par des apports suffisants (on parle alors de "RED-S syndrom").
"Cela se voit plus souvent dans les disciplines où il y a de la minceur. Dans les sports à catégorie de poids ou à endurance longue (comme le triathlon, ndlr)", poursuit Carole Maître, ajoutant que "cela peut impacter la densité minérale osseuse et donc les réserves énergétiques au niveau musculaire. C’est ainsi qu’il risque d’y avoir un impact", pouvant aller jusqu’à l’apparition d’un syndrome dépressif. Sans parler de la charge psychologique liée, par exemple, au fait de devoir porter une tenue blanche lors des compétitions, susceptible de rendre visibles des tâches de sang.
Adapter son calendrier
D’une façon générale, les experts s’accordent à dire que l’observation et la compréhension de ces cycles restent le meilleur moyen de s’y adapter et de pouvoir en faire un allié de la performance. Telle est la perspective d'un programme comme "Empohw'her", mis en place par l’INSEP et destiné à maximiser les prestations des athlètes, en adaptant leurs charges de travail en synergie avec leur physiologie et leur cycle menstruel.
"Le programme consistait à suivre les athlètes sur une durée de plus ou moins six mois, pour se baser sur six cycles au minimum. Durant cette période, elles devaient renseigner un questionnaire sur une application interne à l’INSEP", explique Marine Dupuit, sport scientist à l’Institut. Des questions auxquelles s'ajoutent des tests d'ovulation et des prélèvements salivaires, manière de définir le "profil hormonal" de chacune, déceler leurs phases optimales et celles lors desquelles privilégier la récupération.
"La tendance est que les athlètes seraient plus à même de maintenir des efforts de haute intensité au moment du pic d’œstrogènes, souvent associé à celui de testostérone, à la fin de la phase folliculaire. Même s’il existe des contre-exemples", indique cette dernière auprès d’Europe 1.
Le développement de certaines qualités musculaires pourrait ainsi être à privilégier au cours de cette phase, ce qui est le cas pour Caroline Jouisse, nageuse en eau libre ayant disputé la finale du 10 kilomètres lors des Jeux de Paris. "Je renforce cet aspect lorsque surviennent les pics de testostérone, car c’est là que je me sens la plus forte. Ce n’est pas quelque chose que j’avais identifié avant", détaille l’athlète de 30 ans, qui a participé au programme Empohw’her et même décidé de poursuivre le processus, au-delà de l’échéance olympique.

Un sujet encore tabou
Pour mettre en place ces adaptations, plusieurs difficultés persistent néanmoins. "On peut faire du sur-mesure au niveau des charges en musculation, sur des séances de course, mais c’est compliqué d’individualiser en fonction des cycles, si l’encadrant doit gérer un collectif de 15 ou 20 femmes", décrypte Sarah Ourahmoune.
De même, les sportives de haut niveau se heurtent souvent à une méconnaissance du sujet de la part des entraîneurs. Si elle ne considère personnellement pas vivre la menstruation comme une difficulté, Caroline Jouisse rappelle que "cela reste un sujet tabou", que les femmes ne vont pas forcément oser évoquer avec des hommes. "Je n’en ai jamais trop parlé avec mes coaches. Un de ceux avec qui je travaillais avant les Jeux m’a par exemple dit 'si tu as un problème de ce genre, va en parler à ma femme, elle sera plus à même de te comprendre'", livre la native de Saint-Mandé.
Motif d’espoir, le constat par ces dernières d’une volonté grandissante d’acquérir une meilleure connaissance de la physiologie féminine, entre les projets menés par des fédérations, en collaboration avec des laboratoires, et le fait que la parole se libère progressivement.
Ainsi, d’après un questionnaire envoyé à toutes les athlètes ayant participé aux Jeux olympiques et Paralympiques de Paris par Marine Dupuit et son équipe, auquel une sur deux a répondu, 90% d’entre elles considèrent qu'avoir recours à un accompagnement sur ce sujet est important, voire indispensable.