«On aperçoit plusieurs couches de personnes allongées» : le chef de colonne de la BRI raconte l’assaut du Bataclan, face aux terroristes du 13-Novembre
Dix ans après les attentats du Bataclan, Jay, ancien chef de colonne de la BRI-PP, revient pour Europe 1 sur l’assaut mené à l’intérieur de la salle de spectacle, de la découverte des premières victimes à la progression dans les couloirs jusqu’à la neutralisation des terroristes.
"Quand on reçoit l’alerte pour être déclenché, on comprend que la situation est grave". Jay, d’astreinte avec son groupe ce soir du 13 novembre 2015, suit en direct les événements aux abords du Stade de France, où deux kamikazes viennent de se faire exploser. Dans son bureau situé quai des Orfèvres, le chef de colonne de la BRI-PP reçoit alors un appel : avec son unité, il doit se rendre en urgence dans le XXᵉ arrondissement de Paris.
Cet homme aguerri de l’unité d’élite de la préfecture de police de Paris raconte, minute par minute, la tension, les décisions tactiques et les difficultés de cette intervention face à des terroristes déterminés qui venaient de tuer plusieurs dizaines de personnes.
"Quand on arrive, la première impression, c’est : tout le monde est mort"
Après une courte réunion de groupe, les hommes de la BRI-PP s’équipent, puis se projettent vers les différents lieux où des tueries viennent de se produire. Pour son équipe, constituée d’une douzaine d’agents, la destination est le Bataclan. Arrivés sur place, les sirènes de police hurlent et les gyrophares bleus se reflètent sur les façades d’immeubles. Jay échange brièvement avec des policiers de la BAC nuit, déjà sur place. Le quartier est quadrillé, de nombreuses voitures de police sont abandonnées.
L’équipage de la BRI-PP est contraint de terminer son cheminement à pied. À l’intérieur du Bataclan, le spectacle est indescriptible : corps, blessés, victimes. En pénétrant dans la fosse, Jay décrit une scène figée : "Quand on arrive, la première impression, c’est : tout le monde est mort. On aperçoit plusieurs couches de personnes allongées. Personne ne bouge, il n’y a pas de bruit, à part les plaintes de gens qui semblent souffrir". Certains feignent d’être morts : dès qu’ils bougent, ils se font tirer dessus depuis les hauteurs, où se sont réfugiés les jihadistes.
"Reculez ou je tue tout le monde"
Des victimes indiquent la présence d’au moins deux assaillants réfugiés sur le balcon gauche. La décision est prise : "monter, localiser et circonscrire", relate Jay. La progression dure environ vingt minutes. Le groupe du chef de colonne de la BRI-PP slalome entre les corps. Devant une porte qui dessert un couloir, la localisation devient manifeste : un chargeur de kalachnikov à terre, puis les premières voix des preneurs d’otages : "Reculez, reculez ! … Reculez ou je tue tout le monde, je veux parler à un négociateur", lance un des jihadistes.
Le contact téléphonique est établi avec la négociation. Après de longues minutes d’échanges avec les terroristes, tout est calibré pour permettre l’évacuation et préparer l’assaut. Le commandement donne finalement le feu vert.
00h18 : top assaut
"À 00h18, on a le feu vert, on balance le top assaut". En ligne, derrière le bouclier Ramsès monté sur roues et dont le poids avoisine les 120 kilos, Jay et ses hommes enfoncent la porte de la pièce dans laquelle les otages sont retenus par les deux jihadistes. Un échange de tirs s’engage : "On se prend un chargeur complet de kalachnikov. Entre 26 et 27 balles impactent le bouclier. C’était une longue rafale ininterrompue, en "full automatique". On a un collègue qui est tout de suite blessé à la main. On doit l’évacuer sous le feu. Mais on continue d’avancer, car c’est le seul moyen de sauver un maximum d’otages", relate Jay.
Un incident imprévu fait basculer le bouclier sur deux marches non anticipées. Le porteur se retrouve sans protection mais continue à progresser. Les terroristes, eux, se replient vers le fond du couloir, l’air saturé de fumée et d’artifices. Des otages rampent vers les membres de la BRI-PP, qui continuent de progresser.
Les jihadistes neutralisés
Une explosion violente survient : le premier terroriste déclenche son gilet explosif. "Par chance, les boulons intégrés dans la veste partent vers le mur du fond et non vers nous", soupire Jay. Le second terroriste, impacté par la déflagration, est blessé mais encore mobile et susceptible de faire détonner son propre gilet. Les policiers le neutralisent dans la foulée.
Après l’assaut, la colonne guidée par Jay s’assure qu’il n’y a pas d’autres menaces. Ils ouvrent une salle fermée où s’étaient retranchées des personnes, parmi lesquelles de nombreux étrangers venus assister au concert. L’évacuation à travers la fosse expose ces survivants à l’horrible spectacle des corps jonchant le sol — un choc supplémentaire pour ceux qui n’avaient pas vu l’ampleur des tueries.
Des centaines de personnes dans des couvertures de survie
Dehors, les équipes reprennent leurs esprits : "On voit dehors des centaines de personnes dans des couvertures de survie. On se rend compte de l’ampleur de l’attaque. Le président de la République arrive sur place. À ce moment-là, on ne comprend pas encore trop ce qui vient de se passer, on est dans une phase d’adrénaline", se remémore Jay.
Le lendemain, et durant les semaines suivantes, la BRI reste mobilisée : des armes seront retrouvées, notamment dans une voiture à Montreuil, et des perquisitions seront menées chez des personnes liées à la préparation des attentats.