Flèche, style, matériau : comment faut-il reconstruire Notre-Dame ?

La durée du chantier a d'ores et déjà été fixée à cinq ans par Emmanuel Macron.
La durée du chantier a d'ores et déjà été fixée à cinq ans par Emmanuel Macron. © AFP
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Margaux Lannuzel avec AFP
Outre l'aspect financier du chantier, les choix architecturaux à venir pour la reconstruction du monument font débat, entre volonté d'aller vite et crainte de trahir l'identité de la cathédrale.
ON DÉCRYPTE

"Ils vont nous faire des rooftops au dessus de Notre-Dame ?" Lancée par la tête de liste Rassemblement National (RN) pour les élections européennes Jordan Bardella, la petite phrase cache un débat plus profond, trois jours après le violent incendie qui a ravagé la cathédrale parisienne. Certes, les promesses de dons affluent pour le chantier, qui pourrait coûter entre 600 millions et un milliard d'euros, selon l'ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon. Quant au calendrier, il a été fixé par le chef de l'État lui-même : cinq ans maximum, afin que le monument soit prêt pour les Jeux olympiques de 2024. Mais outre ces aspects chiffrés, comment reconstruire un bâtiment historique sans trahir son identité ? Les responsables politiques de tous bords s'en inquiètent, craignant que l'on ne détruise "l'âme" du bâtiment, selon les mots de la tête de liste PS-Place Publique, Raphaël Glucksmann.

"Il faut arrêter un peu le délire". Au cœur des préoccupations : les mots d'Emmanuel Macron, qui souhaite qu'un "geste architectural contemporain puisse être envisagé". "Il faut arrêter un peu le délire : on doit le respect absolu au patrimoine des Français", a commenté Jordan Bardella, tandis que la présidente du RN Marine Le Pen relayait mercredi le hashtag #TOUCHEPASANOTREDAME. "Avant de nous proclamer bâtisseurs, reconnaissons que nous sommes d'abord héritiers…", a pour sa part estimé François-Xavier Bellamy, tête de liste LR pour les élections européennes, toujours sur Twitter. "Il serait tragique qu'au seuil de la destruction succède la manie de la disruption, et que l'orgueil du 'nouveau monde' dénature maintenant le meilleur de l'ancien, au lieu de le transmettre."

La question du remplacement de la flèche effondrée, faite de centaines de tonnes de bois et de plomb, cristallise les préoccupations : la manière de la remplacer est "ouverte" selon les mots du président de la République, rapportés par Stéphane Bern, chargé de mission sur le patrimoine. Un concours international d'architectes doit être lancé et devra "trancher la question de savoir s'il faut reconstruire une flèche", a précisé le Premier ministre Edouard Philippe. Si oui, doit-elle l'être à l'identique de celle imaginée par Eugène Viollet-le-Duc au XIXème siècle ? Ou faut-il "se doter d'une nouvelle flèche adaptée aux techniques et enjeux de notre époque" ? L'hypothèse d'une flèche en verre, en écho à la pyramide du Louvre, est notamment évoquée.

Une flèche pour "élancer le bâtiment". Pour le petit-fils d'Eugène Viollet-le-Duc, Jean-Marie Henriquet, l'idée d'un concours n'est pas à exclure, mais celle de ne pas reconstruire de flèche, si. "C'est très bien si Notre-Dame est prête pour les Jeux Olympiques, mais (...) on ne traite pas un bâtiment qui a traversé les siècles sous prétexte qu'il y a une manifestation, très importante certes, mais qui n'est pas fondamentale pour la vie du patrimoine", tacle-t-il auprès de l'AFP. "Quand vous regardez la cathédrale de face, ses deux tours sont assez lourdes; et quand vous la regardez sur le côté et à l'arrière, il y a quelque chose de beaucoup plus élancé, et cette flèche contribue à alléger et élancer le bâtiment."

Dans les limites du respect de cette esthétique, une réflexion sur "l'utilisation de matériaux contemporains qui soient mieux adaptés" est envisageable pour l'héritier. Ce ne serait d'ailleurs pas la première fois : à la fin du XVIIIème siècle, une première flèche, datant de 1250 mais très endommagée, avait été démontée. A la suite d'un concours organisé en 1843-1844, l'équipe d'Eugène Viollet-le-Duc avait été choisie. Une telle émulation est-elle aujourd'hui envisageable, y compris dans des délais restreints ? Interrogé sur la polémique, Jean-Marie Henriquet évoque "un débat intéressant entre les anciens et les modernes". "C'est bien dommage que Viollet-le-Duc ne soit plus là pour y prendre part, il aurait été fort intéressé !".

Du titane plutôt que du plomb ? Ledit débat dépasse le symbole de la flèche. Faut-il reconstruire Notre-Dame à l'identique ou utiliser des matériaux modernes ? Le délai de cinq ans - deux ans environ pour assainir et enlever les gravats, faire les diagnostics et préparer les travaux, puis trois ans environ pour le chantier lui-même - obligerait à renoncer à la reconstitution de la magnifique charpente en bois à l'ancienne. "Sur une enceinte affaiblie par le feu, une charge telle que celle de l'ancienne charpente pourrait présenter un problème", souligne Jean-Michel Wilmotte, architecte qui a construit l'église russe, à Paris : une charpente plus légère devra probablement être imaginée. Celle-ci pourrait inclure du titane, trois fois moins lourd que le plomb, et de l'acier, deux fois moins lourd que le bois.

Pour ce chantier, les architectes pourront en tout cas s'inspirer des travaux exécutés pour rénover des bâtiments similaires depuis les années 1980. À la basilique Saint-Donatien de Nantes, datant de 1889 et touchée par un incendie en 2015, un chantier de restauration est en cours, avec une nouvelle charpente en chêne et en sapin… mais un système coupe-feu, des colonnes sèches et un système d'alarme. Plus loin dans l'histoire, les experts avaient fait le choix audacieux du béton pour reconstruire la structure de Notre-Dame de Reims, détruite par un bombardement allemand en 1914. Étonnante de légèreté, la structure, constituée de centaines de fines poutrelles préfabriquées sur place, est elle ininflammable.