Attentats de janvier 2015 : comment filmer un procès avec "neutralité et impartialité" ?

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Le procès des attentats de janvier 2015 contre "Charlie Hebdo", qui s'est ouvert mercredi, est filmé. Une configuration rare mais qui s'est déjà produite en 1997, lors du procès de Maurice Papon, accusé de crimes contre l'humanité. Philippe Labrune, réalisateur de la captation vidéo de l'époque, explique sur Europe 1 comment il s'y est pris.
INTERVIEW

Peu de procès en France ont été intégralement filmés. C'est le cas de celui des auteurs des attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo, qui s'est ouvert mercredi. Avant cela, celui de Maurice Papon, ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde accusé de crimes contre l'humanité pour avoir organisé la déportation de Juifs pendant l'Occupation, avait également été capté en vidéo. Et c'était à l'époque, en 1997, Philippe Labrune qui s'en était chargé. Invité sur Europe 1 jeudi, le réalisateur a détaillé sa manière de faire.

Zoom et travelling interdits

Il est impensable de filmer un procès comme un film ou une série. Philippe Labrune avait établi "un dossier pour répondre à un appel d'offre", lequel stipulait qu'il fallait se baser "sur deux principes imposés : neutralité et impartialité". Comment cela se traduit avec cinq caméras ? En faisant très attention au langage cinématographique. "On sait qu'on peut accentuer ou alléger une dramatique" avec certains effets, rappelle Philippe Labrune. "Je m'étais dès le début interdit un certain nombre de choses, comme les zoom avant, les travelling."

Philippe Labrune choisit ensuite de "se calquer sur le langage et les habitudes d'une cour d'Assises". Avant les audiences, le président lui en avait expliqué le fonctionnement. Et en régie, tous les jours, un magistrat à la retraite assistait la scripte du film. "Il n'était pas là pour nous surveiller mais pour nous renseigner sur le vocabulaire. Il y avait entre nous une très bonne ambiance, beaucoup de respect."

Des images diffusées à la télévision

Par ailleurs, "il fallait calquer la réalisation aussi sur la technologie offerte", poursuit Philippe Labrune. "On utilisait pour la première fois des caméras robotisées informatisées." Concrètement, cela signifie que personne ne maniait directement les appareils. "J'étais à côté d'un opérateur qui, avec un écran tactile et un joystick, manipulait quatre à cinq caméras."

Les images n'étaient pas destinées au grand public. "On était au service de la justice, de la mémoire et de l'Histoire. Ces images devaient être vues 30 ans plus tard et réservées à des historiens et des chercheurs, pas du tout à la télévision", se souvient le réalisateur. Elles sont finalement diffusées sept ans plus tard sur la chaîne Histoire. "Mais sur les 400 heures d'enregistrement, 80 avaient été sélectionnées et remontées comme un documentaire."

Vingt-trois ans plus tard, Philippe Labrune retient "énormément d'anecdotes pendant les enregistrements", la fatigue de tourner en direct pendant des heures, parfois jusqu'à huit, d'affilée. "Je garderai aussi toujours en souvenir les belles discussions avec les magistrats et le président, le soir, quand je descendais apporter le carton de cassettes", s'amuse le réalisateur. "Ils signaient le procès-verbal et les cassettes partaient aux archives, encadrées par deux policiers."