Coronavirus : "On a l'espoir d'être sur une 'queue d’épidémie'"

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En Seine-Saint-Denis, département parmi les plus touchés, contre toute attente le nombre de patients Covid-19 admis aux urgences décline © JOEL SAGET / AFP
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Pauline Rouquette , modifié à
Alors que le nombre de nouveaux cas de coronavirus diminue en France, les médecins s'interrogent sur les raisons de cet affaiblissement. Est-il directement lié aux mesures mises en place depuis huit semaines pour limiter les déplacements ? Selon Frédéric Adnet, chef des urgences en Seine-Saint-Denis, département durement touché, "le confinement n'explique pas tout, surtout dans notre population".
INTERVIEW

Se dirige-t-on vers la fin de l'épidémie de Covid-19 en France ? Sur l'ensemble du territoire, le nombre de nouveaux cas diminue. En Seine-Saint-Denis, département parmi les plus touchés, contre toute attente le nombre de patients Covid-19 admis aux urgences décline. Suite à l'enquête d'Europe 1 sur cette baisse qui interroge les médecins, Frédéric Adnet, chef des urgences de l'hôpital Avicenne de Bobigny, a apporté davantage de précisions sur l'hypothèse d'une "queue d'épidémie" et les questions qui demeurent autour de cet affaiblissement dans un département tel que la Seine-Saint-Denis.

Quels sont les chiffres aux urgences de Bobigny ces dernières 24 heures, combien d’admis et de malades au total ?

On assiste à une diminution très sensible du nombre de nouveaux cas de Covid qui se présentent aux urgences, ou d'appels au Samu. Au cœur de l’épidémie, on avait une centaine de patients Covid-19 par jour ; actuellement on est à moins de trois patients Covid suspects, dont on ne sait pas s'ils développeront ou non la maladie.

Toutefois, même si l'on assiste à une diminution très sensible du nombre de patients malades qui arrivent aux urgences, il faut garder nos mesures de protection. Ce n’est pas un appel au relâchement, mais il est vrai que le confinement n’explique pas tout, surtout dans notre population.

Qu'est-ce qui explique ce ralentissement dans un département aussi touché que la Seine-Saint-Denis ?

Je m’attendais à avoir un "bruit de fond", avoir toujours un flux de patients qui viennent de populations défavorisés. Il y a un bidonville en face de l'hôpital Avicenne et on sait que le confinement n’y est pas respecté, il y a aussi des familles nombreuses qui habitent dans des conditions précaires. Je m’attendais à avoir chaque jour 10 à 15 patients ayant développé le Covid. Aujourd'hui pourtant, je n'en ai pratiquement plus.

Je ne pense pas qu’il y ait une immunité supérieure en Seine-Saint-Denis que dans les autres départements d’Île-de France. Elle y est estimée à 10-12%, ce qui ne suffit pas à expliquer cette baisse de malades puisque pour arrêter une épidémie, il faudrait qu'elle se situe entre 60 et 70%.

La question est : "Est-ce qu'on a affaire à l’évolution naturelle d’un virus saisonnier avec un pic épidémique puis une extinction de ce virus du fait des changements climatiques, ou à une histoire naturelle d’un virus saisonnier qui fait que l'épidémie s'éteint toute seule ?"

On peut donc encore envisager la saisonnalité alors que cette hypothèse semblait avoir été balayée ?

On ne l’avait pas tant balayée que ça, en témoigne un article scientifique de Science publié récemment, avec des modélisations sur la saisonnalité. Il y a cependant une incertitude qui existe. Tous les coronavirus (dont trois sont "gentils", et trois sont "méchants") sont saisonniers, on le sait. Toutefois, sur un virus émergent, on ne peut pas se prononcer, donc on fait des paris sans fondement.

Actuellement, il y a une grosse incertitude sur la saisonnalité, mais ce que j’observe depuis mes urgences de Seine-Saint-Denis, c'est que je ne peux pas expliquer la baisse du nombre de patients que je vois arriver quotidiennement uniquement par les mesures de confinement. Cela veut dire qu’il faut maintenir nos mesures de précaution, mais que l'on a quand même l'espoir d’être sur une "queue d’épidémie".

Est-ce que cela signifie que la fameuse "deuxième vague" n'aura peut-être jamais lieu ?

Tout dépend de ce que l'on entend par "deuxième vague". Si c'est une récurrence saisonnière, alors la deuxième vague sera une deuxième épidémie que l'on voit dans ce type de virus, à l’automne et à l’hiver avec une ré-émergence de virus. En revanche, est-ce qu’il y aura une deuxième vague parce que nous avons baissé notre garde et que les mesures barrières et le confinement sont beaucoup moins respectés ? C'est une possibilité que l'on ne peut pas complètement écarter.