Comment s'est passé le premier grand oral de Macron au Parlement européen ?

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Emmanuel Macron n'a pas transigé sur ses ambitions européennes, mardi, à Strasbourg. © Frederick FLORIN / AFP
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Le président français a de nouveau défendu, mardi, une intégration européenne plus poussée. Mais cette relance est freinée par le scepticisme de ses partenaires.

Emmanuel Macron n'a pas dévié d'un pouce, mardi, pendant les trois heures d'échanges organisés avec les eurodéputés. Au Parlement européen, où il faisait un discours très attendu, le président français a, de nouveau, appelé à plus d'Europe. Nouvelle "souveraineté" européenne, union économique et monétaire, taxe carbone à l'échelon européen… toutes ses marottes étaient là, dans la droite ligne de sa prise de parole à la Sorbonne, fin septembre. Mais le contexte est bien différent. Et bien plus difficile pour le chef de l'État, qui voit jour après jour ses partenaires freiner ses velléités européennes.

L'Europe sous la menace du statu quo. Face au risque de l'immobilisme, qu'il juge dangereux pour l'Union européenne, Emmanuel Macron a redoublé d'effort. "Il y a des divisions entre les pays, au sein même de cet hémicycle", a-t-il reconnu. "Mais au-delà, ce modèle démocratique qui nous rassemble est unique au monde." Fustigeant ceux qui "disent avec aplomb que les peuples ne veulent plus d'Europe", mais aussi ceux qui "affirment sagement que nous ne devons pas hâter le pas pour ne pas brusquer le peuple", le président français a mis en garde les eurodéputés contre la "paralysie" qui menace. "Il est commode de critiquer sans proposer, de détruire sans rebâtir. Ce n'est pas le peuple qui a abandonné l'idée européenne, c'est la trahison des clercs qui la menace."

Macron (encore) à la relance. Pour relancer la machine, Emmanuel Macron propose toujours la même chose. Une nouvelle "souveraineté européenne" qui, selon lui, n'implique pas de "dilution" des souverainetés nationales. "Nous avons besoin d'une souveraineté plus forte, complémentaire, et non de substitution", a-t-il martelé. Cela doit se traduire notamment, selon lui, par la constitution d'un budget spécifique à la zone euro qui "favorise la stabilité et la convergence" fiscale des membres, par la construction d'une "solidarité interne et externe" sur la question des migrants, une "taxation européenne du numérique" et une taxe aux frontières sur le CO2.

Un contexte moins favorable au président français. Mais ce volontarisme n'est plus aussi bien accueilli par les autres pays membres de l'Union européenne depuis quelques mois. En septembre, pourtant, alors qu'Emmanuel Macron avait formulé des propositions similaires (et même plus ambitieuses encore pour certaines), il avait été salué par ses parteniares. Le président jouissait alors de la bienveillance de gouvernements soulagés de la défaite de Marine Le Pen, qui voyaient l'exemple français comme la preuve que les populismes n'étaient pas une fatalité sur le Vieux continent. Même si le chef de l'État a bénéficié mardi d'un accueil chaleureux, le contexte a changé et les velléités macronistes ne passent plus aussi bien.

L'intégration de la zone euro en question. Sur la grande intégration de la zone euro, notamment, Emmanuel Macron a peu d'alliés. Berlin y semblait peu favorable en premier lieu et cela s'est confirmé la semaine dernière, lorsqu'un eurodéputé vert a fait fuiter un document de la CDU, qui témoigne d'une opposition à toute idée de capacité budgétaire et fiscale autonome de l'eurozone. Angela Merkel, frileuse, n'a d'ailleurs même pas besoin d'ouvrir la bouche pour signifier ses désaccords : d'autres nations s'en chargent pour elle. Emmenés par les Pays-Bas, plusieurs pays nordiques et baltes sont ouvertement hostiles à toute intégration supplémentaire de la zone euro, et le répètent à longueur de journée. Mardi, Emmanuel Macron a d'ailleurs reçu peu d'applaudissements lorsqu'il a reparlé de ce point précis dans son discours liminaire.

" L'axe franco-allemand est important, mais l'Europe a besoin de plus. Il ne faut pas [la] diviser entre les bons et les mauvais. "

"Il ne faut pas diviser l'Europe entre les bons et les mauvais". Autre point de friction : le président français assume une Union européenne à deux vitesses. "Essayons d'avancer avec une règle : que ceux qui ne veulent pas avancer ne puissent pas bloquer les autres", a-t-il répété mardi. Mais cette idée ne plaît ni à l'Allemagne, ni aux pays qui sont visés comme les poids morts de l'Union européenne. C'est le cas, par exemple, de la Pologne ou de la Hongrie, critiqués par Emmanuel Macron parce que ce sont des pays trop autoritaires. L'Allemand Manfred Weber, président du groupe PPE, conservateur, a ainsi mis en garde le président français mardi. "L'axe franco-allemand est important, mais l'Europe a besoin de plus. Il ne faut pas [la] diviser entre les bons et les mauvais."

Un premier de cordée bien seul. À ces désaccords conjoncturels s'ajoute un contexte difficile pour Emmanuel Macron. Lui qui compte avant tout sur son partenaire allemand a dû composer avec les législatives compliquées pour Angela Merkel, engluée dans d'interminables négociations pour former un gouvernement de coalition. En Italie, la formation d'un gouvernement est toujours dans l'impasse. L'Espagne est, elle, plus préoccupée par les velléités d'indépendance de la Catalogne que par le destin de l'Europe. Et le Royaume-Uni a, de toute façon, décidé de quitter le navire.

Quelques soutiens et réussites. Si Emmanuel Macron veut s'imposer comme le premier de cordée de l'Union européenne, il semble pour l'instant un peu seul. Il reste au président quelques soutiens, notamment ceux de Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, qui s'est félicité du "retour" de "la vraie France", et de Guy Verhofstadt, eurodéputé libéral belge. Il reste, également, quelques succès : la révision de la directive sur les travailleurs détachés ou, plus modestement, l'organisation de débats sur l'Europe dans plusieurs États membres. En France, la "consultation citoyenne" est d'ailleurs officiellement lancée par Emmanuel Macron mardi soir. Le chef de l'État repartira au front sur des sujets plus polémiques dès jeudi, à Berlin. Une séance de travail avec Angela Merkel est organisée pour adopter une position commune sur la zone euro.

 

Des échanges tendus

Interpellé par plusieurs eurodéputés, Emmanuel Macron a encaissé les coups avant de les rendre. De manière prévisible, les élus français d'extrême droite ne l'ont pas épargné. Florian Philippot l'a appelé le "chouchou de la Commission", la "coqueluche de Bruxelles", avant d'appeler au référendum sur le Frexit. "Que faites-vous dans cette assemblée si vous ne la respectez pas ?", a vertement répondu le président français. "Vous avez perdu en mai dernier, le peuple français en a décidé ainsi.

Mais c'est une passe d'arme avec l'écologiste belge Philippe Lamberts qui a été la plus acide. L'eurodéputé a critiqué, pêle-mêle, l'action des forces de l'ordre à Notre-Dame-des-Landes, la loi asile et immigration et les inégalités, avant d'offrir une corde au président français, en allusion à son expression "premier de cordée". "Vous pouvez tenir des propos d'estrade car vous avez le confort de ce salon", a répliqué Emmanuel Macron. "Au nom du respect que j'ai pour ce Parlement, je ne peux vous laisser dire des bêtises et contre-vérités."