Otages du Hamas, retour des talibans, Sahel... Comment le Qatar s'impose comme un médiateur incontournable

Mohammed bin Abdulrahman bin Jassim al-Thani
Mohammed bin Abdulrahman bin Jassim al-Thani, Premier ministre et ministre qatari des Affaires étrangères. © AFP
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Romain Rouillard / Crédit photo : AFP , modifié à
L'accord portant sur la libération d'une cinquantaine d'otages, retenus par le Hamas dans le bande de Gaza depuis le 7 octobre, aurait sans doute été plus délicat à faire émerger sans le rôle d'intermédiaire joué par le Qatar. Preuve de l'importance acquise par le richissime émirat gazier dans les médiations internationales.
DÉCRYPTAGE

De l'avis de nombreux responsables internationaux, il est encore bien trop tôt pour se réjouir, au regard des nombreux détails qui doivent encore être ficelés. L'application de l'accord portant sur la libération de 50 otages, retenus par le Hamas à Gaza, en échange de prisonniers palestiniens et d'une trêve de quatre jours dans la bande de Gaza a même été décalé d'au moins 24 heures. Reste que ce deal constitue l'un des rares motifs d'espoir dans un Proche-Orient meurtri depuis l'attaque sanglante menée par des terroristes du Hamas en territoire israélien.

Le président américain Joe Biden s'est dit "extraordinairement satisfait" tandis qu'Emmanuel Macron a "salué" ce mercredi cet accord et assuré œuvrer "sans relâche pour que tous les otages soient libérés". Au total, 240 personnes ont été enlevées par le Hamas lors de l'attaque terroriste menée sur le territoire israélien le 7 octobre dernier. Cette libération annoncée de 50 d'entre eux représentent néanmoins un motif d'espoir. Elle est le fruit d'un accord, dont chaque terme a été et continue d'être minutieusement pesé, et sur lequel un acteur semble avoir joué un rôle prépondérant : le Qatar

"Le bureau politique du Hamas est à Doha"

Le richissime émirat gazier a ainsi pu s'appuyer sur les liens qu'il entretient avec le mouvement terroriste. "Le Hamas est considéré comme la branche palestinienne des Frères musulmans. Le Qatar soutient cette mouvance et donc soutient le Hamas", nous expliquait Didier Billion, directeur adjoint de l'Institut des relations internationales et stratégiques, aux premiers jours de la guerre. "Le bureau politique du Hamas est à Doha depuis 2012 et Ismaïl Haniyeh (le chef du Hamas) y réside, de manière plus ou moins permanente depuis 2019", appuie David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'Iris et spécialiste du Moyen-Orient. 

Et, surtout, le Qatar fournit un soutien financier à l'organisation. "Avant le 7 octobre, il y avait tous les mois un envoyé du Qatar avec une valise en liquide transportant la somme de 30 millions de dollars, pour payer les fonctionnaires du Hamas", illustre David Rigoulet-Roze. Mais ce rapport de proximité, insiste le spécialiste, n'avait rien d'opaque. "Ce transfert d'argent s'effectuait avec l'aval d'Israël", rappelle-t-il. Cet argent qatari a également permis de maintenir à flot la bande de Gaza et ses 2,4 millions d'habitants, sous blocus israélien depuis 2007. 

Un jeu d'équilibriste 

Mais la force du Qatar réside aussi dans sa propension à "parler avec tout le monde". En dépit des liens entretenus avec le Hamas, le Qatar dialogue avec Israël depuis plus de 30 ans et s'érige en principal allié des États-Unis dans la région. "Le commandement central américain, qui couvre stratégiquement les zones du Moyen-Orient et de l'Asie centrale, est basé au Qatar", indique David Rigoulet-Roze. De quoi faire du Qatar l'intermédiaire tout trouvé entre deux belligérants irréconciliables. 

Un costume de médiateur que Doha endosse depuis de nombreuses années. Notamment à l'été 2021, lors du retour en force des talibans en Afghanistan. "Il y avait, au Qatar, depuis plusieurs années, un bureau politique des talibans. Mais cela arrangeait toutes les parties puisque ça permettait aux Américains de discuter de façon plus ou moins directe avec les talibans", souligne David Rigoulet-Roze. Ce rôle d'équilibriste, dont Doha a fait sa spécialité, avait alors permis d'évacuer des milliers d'étrangers, mais aussi plusieurs Afghans, dont 8.000 d'entre eux avaient été accueillis temporairement au Qatar. 

Le rôle du "Sportpower" 

Ce rôle d'intercesseur, préempté par Doha, s'est illustré bien des années plus tôt. Ainsi, en 2014, après l'instauration, par Daech, d'un califat englobant toute une partie de l'Irak et de la Syrie, de nombreux prisonniers, retenus en otage, avaient fini par être libérés grâce, entre autres, à un travail de médiation qatari. Des échanges de prisonniers, entre l'Iran et les États-Unis, des négociations au Sahel ou même dans le cadre de la guerre en Ukraine, l'ont également été sous la supervision du Qatar. 

Mais au-delà de l'aspect purement géopolitique, le Qatar tire son influence des très nombreux investissements réalisés à l'étranger. Notamment dans le monde du sport à travers une stratégie de "sportpower", aujourd'hui largement pratiquée dans la région, mais dont Doha fut le bâtisseur avec, entre autres, le rachat du Paris Saint-Germain à l'été 2011 par QSI, Qatar Sports Investments. "Mais cela ne se réduit pas qu'au sportpower. Cela passe aussi par des investissements diversifiés dans des entreprises et sociétés occidentales, notamment françaises", fait remarquer David Rigoulet-Roze. Autant d'éléments qui illustrent la toile tissée par le Qatar dans le monde des relations internationales.