Liban 2:56
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Nicolas Feldmann et Joanna Chabas, édité par Pauline Rouquette , modifié à
Quatre jours après la double explosion du port de Beyrouth, des milliers de Libanais ont manifesté dans la capitale libanaise contre un pouvoir politique qu'ils jugent inepte et corrompu. Les protestataires estiment qu'il n'ont "plus rien à perdre" et ont tenté de pénétrer dans le Parlement, avant de prendre d'assaut le ministère des Affaires étrangères.
REPORTAGE

Les Libanais sont révoltés contre des responsables politiques jugés irresponsables et corrompus. Ils étaient des milliers à manifester samedi dans les rues de Beyrouth, quatre jours après la double explosion sur le port de la capitale libanaise, qui a fait plus de 150 morts et 6.000 blessés. "Vengeance, vengeance, jusqu'à la chute du régime", ont notamment scandé les protestataires dont le but affiché est d'entrer dans le Parlement libanais. Un symbole visant à "reprendre le pouvoir", et "gagner ce qu'[on] a perdu contre les politiciens : le pouvoir et la justice", s'exclame Maria, parmi les manifestants.

"Beyrouth, ville de la Révolution"

Des barricades et des centaines de soldats barrent tous les accès, mais face à eux, des jeunes en colère jettent des pavés contre les forces de l'ordre, qui leur répondent avec des gaz lacrymogènes. Sur la place des Martyrs, lieu de rassemblement, une potence d'une dizaine de mètres de long a été installée. Au bout des cordes : les visages de chacun des leaders du pays. "C'est eux qui dirigent le pays", dénoncent Marc au micro d'Europe 1. "On ne sait pas ce qui s'est passé, mais avoir 2.700 tonnes de nitrate d'ammonium dans le port de Beyrouth où l'on se dirige pour boire un verre, étudier, prier... On ne veut plus d'eux ! On ne veut plus d'eux !"

À quelques centaines de mètre de là, le ministère des Affaires étrangères, lui, a aussi été pris d'assaut par des manifestants brandissant des pancartes portant le symbole de la révolution qui a secoué le pays il y a moins d'un an, et sur lesquelles on pouvait lire "Beyrouth démilitarisée, Beyrouth ville de la Révolution". Sans violence, les manifestants ont réussi à entrer dans l'enceinte du ministère. "C'est symbolique, on est rentrés, on va sortir, si on a réussi à l'avoir, on pourra avoir n'importe quel ministère, il suffit qu'on soit ensemble", explique une manifestante.

"On n’a plus rien à perdre"

"On n'a plus de maison, on n'a même plus de nourriture, ils nous ont juste laissés comme ça, dans les rues, et ils n'ont même pas pitié de nous", lance Mélissa, une autre manifestante. "Ça fait quatre jours... Nous on descend aider les gens, on répare notre propre maison, alors qu'eux n'ont même pas pensé à bouger leur cul", poursuit-elle, excédée.

Le Liban connait une crise politique et économique sans précédent. Fin 2019, un mouvement de protestation avait émergé, dénonçant la corruption des dirigeants libanais et demandant leur départ du pouvoir, avant d'être freiné par la pandémie de coronavirus. Avec la double explosion de mardi, survenue à cause du stockage de 2.750 tonnes de nitrate d'ammonium dans le port de la capitale libanaise, les manifestants dénoncent l'irresponsabilité et l'incurie des politiques. "On n'a vraiment plus rien et tout le monde est touché", poursuit Mélissa, alors que des milliers de Libanais, déjà durement touchés par la crise économique, se retrouvent désormais sans toit. "On va prendre des risques parce qu’on n’a plus rien à perdre, on n’a plus de futur, on ne peut même plus vivre dans ce pays", déplore-t-elle. "La plupart des personnes sont prêtes à mourir parce qu’ils n’ont plus rien à perdre. On est en train de mourir petit à petit. D'abord, on essayait de survivre, et maintenant on est complètement anéantis".

Parmi les protestataires, beaucoup sont venus en famille. Des adolescents et jeunes adultes accompagnés de leurs parents. "je suis une mère libanaise comme toutes ces mères qui ont peur pour leurs fils et leurs filles", témoigne Lara, venue manifester avec sa fille d'une vingtaine d'années. On ne mérite pas ça. Pour moi, c'est fini, mais j'ai vraiment peur pour mes enfants parce que je ne vois pas comment va devenir le Liban de demain", poursuit-elle. Si rien ne bouge, dit-elle, elle poussera sa fille à quitter le pays.