Iran : comment l'arrestation du jeune cycliste Lennart Monterlos illustre la diplomatie des otages menée par Téhéran
Depuis l’installation de la République islamisque en 1979, Téhéran utilise régulièrement des otages occidentaux à des fins diplomatiques. L’arrestation du jeune cycliste franco-allemand Lennart Monterlos, dans un contexte de négociations au point mort autour du nucléaire iranien, en est une excellente illustration.
Sa traversée de l'Iran avait fait l'objet, selon son propre aveu, de "vifs débats" avec son entourage. Lennart Monterlos, cycliste franco-allemand de 18 ans, n'a plus donné signe de vie depuis le 16 juin alors qu'il se trouvait sur le territoire de la République islamique. Le jeune homme avait entrepris un voyage de 400 jours à bicyclette à travers l'Eurasie avant d'entamer ses études supérieures. Parti de Besançon (Doubs), il a successivement traversé la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche, la Slovaquie, la Hongrie, la Serbie, la Roumanie, la Bulgarie et la Turquie avant de fouler le sol iranien.
Le couperet est tombé jeudi en début de soirée avec la confirmation, par Téhéran, de son arrestation. "Une notification officielle concernant sa situation a été transmise à l'ambassade de France", a déclaré Abbas Araghchi dans un entretien au Monde. Le jeune homme aurait commis un "délit", selon le chef de la diplomatie iranienne.
"Une spécificité iranienne"
En attendant une hypothétique issue positive, Lennart Monterlos va donc rejoindre les geôles d'un régime qui détient déjà, depuis le 7 mai 2022 et de façon totalement arbitraire, Cécile Kohler, professeur de lettres de 40 ans, et son compagnon, Jacques Paris, 72 ans. Et qui a fait de la prise d'otages de ressortissants occidentaux une véritable arme diplomatique. "Il y a une spécificité iranienne" en la matière, nous confirme David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
Une pratique qui constitue même, selon cet expert, "l'ADN" du régime. En 1979, quelques mois après la révolution iranienne, l'exil du Shah Mohammad Reza Pahlavi vers les États-Unis et l'installation de la République islamique, 52 diplomates et civils américains sont retenus en otage pendant 444 jours par des étudiants iraniens au sein de l'ambassade américaine à Téhéran. Pilotée par les autorités, cette opération avait pour objectif d'obtenir l'extradition du Shah afin de le condamner à mort en Iran, mais s'inscrivait dans un contexte plus global d'anti-américanisme grandissant. "C'était une situation sans précédant qui violait toutes les règles définies par la convention de Vienne de 1961 définissant les règles de diplomatie internationale", souligne David Rigoulet-Roze.
46 ans plus tard, le régime manie toujours cette diplomatie des otages pour deux raisons majeures, selon notre expert. "Soit pour obtenir quelque chose de manière immédiate, la libération d'un Iranien qui aurait été condamné pour terrorisme dans un pays occidental, par exemple ou pour apurer un contentieux financier de longue date, soit comme d'un moyen de pression à disposition, susceptible d'être utilisé le cas échéant dans le cadre de négociations difficiles." Ainsi, en 2020, l'ingénieur iranien Jalal Rohollahnejad a été "échangé" contre le chercheur Roland Marchal, accusé d'espionnage et emprisonné pendant 9 mois en Iran. On peut également citer le Lyonnais Benjamin Brière, retenu en otage durant trois ans entre 2020 et 2023.
La clause du "snapback"
L'arrestation de Lennart Monterlos s'inscrit, elle, dans un contexte de négociations au point mort sur la question du nucléaire iranien. Dans la nuit du 21 au 22 juin, les États-Unis frappent de façon spectaculaire les sites de Fordo, Ispahan et Natanz, où se trouve de l'uranium enrichi et où Téhéran est soupçonné de préparer sa future bombe atomique. Une opération qui intervient quelques semaines après le rapport de l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique) qui exprimait sa "forte inquiétude" face à la montée en puissance du programme iranien.
Or, la France dispose d'un outil redoutable face à Téhéran : la clause du "Snapback". En 2015, le JCPoA (Plan d’action global commun) ou "accord de Vienne" prévoit qu'en l'échange de l'engagement iranien à ne pas mener d'activités nucléaires à des fins militaires, les occidentaux levaient les sanctions prises contre Téhéran. Néanmoins, selon la résolution 2231 qui accompagne cet accord, en cas de non-respect, par l'Iran, d'une ou plusieurs de ses obligations, tous les pays signataires de l'accord (États-Unis, Chine, Russie, France, Royaume-Uni et Allemagne) peuvent réappliquer, de manière automatique, les sanctions visant Téhéran, sans craindre un véto d'un autre État. C'est le principe du "snapback".
Une arme redoutable entre les mains des occidentaux, mais dont Téhéran a su tirer profit... par le biais de ses otages. "Pendant longtemps, les libérations d'otages étaient considérées comme les attendus vertueux de l'aboutissement positif d'un processus complexe de négociations. Depuis le début de l'année 2025, selon plusieurs déclarations de Jean-Noël Barrot (ministre français des Affaires étrangères), ces libérations paraissent constituer désormais un préalable dans une logique de négociations, en l'occurrence sur la question nucléaire, en laissant notamment planer l'’épée de Damoclès’ du snapback", décrypte David Rigoulet-Roze.
Ce à quoi l'Iran a répondu en formulant trois nouveaux chefs d'inculpation retenus contre Cécile Kohler et Jacques Paris (espionnage pour le Mossad, complot pour renverser le régime et corruption sur Terre), tous passibles de la peine de mort. Une manière pour Téhéran de dissuader la France d'utiliser l'arme du snapback pour préserver la vie des otages. Une partie d'échecs dont l'issue pourrait décider le sort des Français emprisonnés dans les geôles du régime.