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Chaque jour, Bruno Donnet regarde la télévision, écoute la radio et scrute les journaux ainsi que les réseaux sociaux pour livrer ses téléscopages. Ce jeudi, il s'intéresse à la photo qui a remporté le World Press Photo.

Tous les jours, Bruno Donnet analyse les productions médiatiques. Ce matin, il a choisi de nous raconter une image, une photographie de presse qui vient tout juste d’être récompensée.

La photo a reçue, hier, le prix régional décerné par la très prestigieuse organisation internationale : World Press Photo.

Elle met en scène une femme. Une très jeune femme. Elle a l’air d’avoir une toute petite vingtaine d’années et elle est attablée, seule, enfin presque seule, dans la rue, vraisemblablement à la terrasse d’un café.

Au premier plan, parce qu’elle est l’héroïne de la photographie, cette jeune fille ressemble aux très nombreuses jeunes filles que nous avons coutume de croiser, ici, dans nos pays occidentaux.

Elle porte un pantalon beige, une paire de basquettes blanche, un Tee-shirt bleu et un manteau marron dont ses longs cheveux bruns recouvrent le col.

Toutefois, elle a le regard un peu mélancolique. On ne sait pas très bien si elle est triste, ou désabusée, mais elle fixe l’objectif avec un air maussade.

Les couleurs de la photo sont du reste, comme elle, un peu sombres. L’image a dû être captée en fin de journée, juste avant la tombée du jour, et la lumière est un brin pâlichonne.

Mais la grande réussite de cette image réside dans les contrastes.

Car au milieu de cet ensemble un peu terne, émergent deux grosses touches de couleur : la table devant laquelle se trouve la jeune fille est jaune. Jaune canari. Et la chaise, sur laquelle elle est assise, est rose. D’un rose girly, brillant, qui tranche avec le noir de jais de sa longue chevelure.

Mais un petit détail : la photo n’a pas été prise dans un pays où les femmes sont libres.

Non, elle a été immortalisée en Iran.

Un pays dans lequel le régime des Mollahs oblige les femmes à couvrir leurs cheveux et à porter le voile islamique.

Pour ne pas avoir respecté cette obligation-là, il y a un peu plus de six mois, Masha Amini est morte, morte après avoir été arrêtée par la terrible police des mœurs. Elle avait 22 ans. Et la jeune fille de la photo a sensiblement le même âge.

Mais le contraste de cette image le plus saisissant, figure à l’arrière-plan.

Juste derrière cette jolie jeune fille, tête nue et cheveux aux vents, le ciel, lui, est voilé. Il est voilé mais il n’est pas le seul. 

Car c’est bien le contraste entre le premier et l’arrière-plan qui donne toute sa force à cette photographie.

Derrière la jeune fille aux cheveux libres, toute l’image est envahie par un cortège de femmes. Elles sont une dizaine. Elles marchent. Elles marchent et elles sont intégralement voilées. Recouvertes de la tête aux pieds de longs tchadors noirs qui les anonymisent et les invisibilisent, tandis que la jeune fille est unique, singulière et par effet de contraste, d’une infinie puissance. 

Cette image-là Philippe, c’est le photographe Ahmad Halabizaz qui l’a réalisée.

Il est iranien et pour avoir su capturer et publier ce si puissant symbole de la révolution qui est actuellement en marche, dans son pays, il vient d’être condamné à cinq années de prison ferme et à l’interdiction définitive d’exercer son métier.