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Chaque jour, Bruno Donnet regarde la télévision, écoute la radio et scrute les journaux ainsi que les réseaux sociaux pour livrer ses téléscopages. Ce jeudi, il s'intéresse à la communication du gouvernement et d'Emmanuel Macron concernant les violences en marge des manifestations.

Tous les jours, Bruno Donnet questionne la fabrique médiatique. Ce matin, il a choisi de s'arrêter sur l’utilisation qui est faite ces jours-ci des images de violences policières dans les manifestations.

Tous les soirs, en marge des rassemblements plus ou moins sauvages et des feux de poubelles qui mettent les forces de l’ordre sur les dents, de courtes séquences vidéo, capturés par les smartphones des manifestants, inondent les réseaux sociaux : « Allez mets-toi debout ! Casse-toi ! Allez, relève-toi, gros lard. Sac à merde va. »

Sur celle-ci, un policier frappe un homme qui gît au sol et le traite de « sac à merde ». Et sur celle-là, un fonctionnaire tir avec un LBD, un lanceur de balles de défense, sur un manifestant en lui disant : «Allez, ramasse tes couilles ! »

Ces images-là, si les médias traditionnels ne les ont pas enregistrées, eux-mêmes, ils les diffusent néanmoins et les popularisent, à grandes longueurs d’antenne.

Avant-hier par exemple, France 2 avaient choisi de consacrer un long reportage, dans son journal de 20 heures, à ces séquences polémiques : « Ici, un policier frappe un homme au visage. Là, des forces de l’ordre qui matraquent des personnes massées devant la terrasse d’un restaurant et qui n’ont aucun geste menaçant. »

Devant le nombre colossal de ces vidéos de brutalités, et face à l’indignation qu’elles suscitent, avant-hier, le préfet de police de Paris, Laurent Nunez, s’est même rendu sur le plateau de BFM-TV pour reconnaître que, oui, des débordements avaient pu se produire : « Très honnêtement, quand on voit cette séquence, oui le geste parait inadapté. »

Et pour dire, avec une formule très intéressante, qu’il était extrêmement attentif à ces débordements : « Tout ce que nous voyons, toutes ces vidéos, on les analyse évidemment, moi c’est mon devoir de veiller à la déontologie des policiers. »

Voilà, alors la formule intéressante, « déontologie policière ». Car juste après le préfet de police, c’est le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin qui, face aux caméras, a employé exactement la même : « Evidemment si des policiers ont commis des actes contraires à la déontologie, ils seront sanctionnés, comme je le fais depuis que je suis ministre de l’intérieur. »

Bref, vous l’avez compris, avant-hier, l’exécutif reconnaissait donc que des dérapages avaient effectivement pu se produire et tenait à nous faire savoir qu’il ne les tolèrerait pas.

Pourtant, depuis hier, on a perçu un changement dans la communication du gouvernement.

Oui, un glissement tout à fait spectaculaire Philippe qui s’est produit, à 13 heures, en pleine interview présidentielle.

Car figurez-vous qu’Emmanuel Macron, lui aussi, a rebondit sur ces images. Seulement voilà, lui, a choisi de les utiliser un peu comme on le ferait au judo, c’est-à-dire, en essayant d’utiliser la force de ses adversaires pour la retourner contre eux : « On ne peut pas accepter ni les factieux, ni les factions. »

Car les images qui circulent sur les réseaux sociaux montrent aussi des incendies volontaires, des dégradations, ou des manifestants qui provoquent les forces de l’ordre et qui les insultent.

Alors ? Et bien alors le président de la république a choisi de miser sur celles-ci. Et, il a opté pour un nouvel élément de langage : « Quand des groupes utilisent l’extrême violence. »

Il a condamné « l’extrême violence » et comparé ceux qui manifestent nuitamment aux émeutiers, partisans de Donald Trump ou de Jair Bolsonaro : « Quand les Etats-Unis d’Amérique ont vécu ce qu’ils ont vécu, au Capitol. Quand le Brésil a vécu ce qu’il a vécu, quand vous avez l’extrême violence en Allemagne, aux Pays-Bas, ou parfois par le passé chez nous. »

Alors, c’est habile, car ça permet à Emmanuel Macron de se désigner un adversaire : les factieux. Bien plus facile à disqualifier que s’il s’en prenait à la majorité des français qui sont hostiles à sa réforme.

Et puis ça lui permet, aussi, de s’afficher en garant de l’ordre, de l’ordre républicain, c’est-à-dire de se placer du côté de la démocratie politique, au moment où les syndicats, et l’opposition, l’accusent de passer par-dessus la démocratie sociale : « Quand ils utilisent la violence, sans règle, absolue, parce qu’ils ne sont pas contents de quelque chose, alors là, ça n’est plus la république. »

Il n’en demeure pas moins que mettre en scène la menace que les manifestants feraient peser sur la « République » est un pari politique audacieux. Le pouvoir joue donc images contre images. Mais il est aujourd’hui sur un fil, tendu, en position très incertaine, car personne ne peut dire de quel côté l’opinion finira par basculer.

Le judo est un art au moins aussi martial que périlleux.