Woodstock, 50 ans après : Joe Coker, soul and blues à l'anglaise

Joe Cocker
Joe Cocker sur la scène de Woodstock. © Capture d'écran YouTube
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Jean-François Pérès
Tout l'été, Europe 1 revient sur les artistes qui ont incarné la révolution Woodstock lors de ce festival iconique, en 1969. Dans ce douzième épisode, Jean-François Pérès s'intéresse à Joe Cocker, le petit ouvrier de Sheffield devenu rockstar.

Il y eut un avant, il y eut un après. Il y a 50 ans, la vague Woodstock submergeait le monde. Europe 1 vous fait revivre, à l'heure des festivals de l'été, l'histoire de cette révolution, non seulement par ce qu'elle a apporté, mais aussi par ceux qui l'ont incarnée. Aujourd'hui, Joe Cocker.

Un tube prêté par les Beatles

Quel est le lien entre Ray Charles et Joe Cocker ? A priori, il n'y aurait pas dû en avoir. Il n'y avait guère plus éloigné culturellement que le génie aveugle, né en Géorgie et figure majeure de la musique afro-américaine, et le petit anglais de Sheffield, capitale sidérurgique du Royaume-Uni de l'après-guerre. Et pourtant. Un soir, à la radio, le "lad" comme on dit là-bas découvre la voix de Ray Charles. Sa vie ne sera plus jamais la même, son rapport à la musique non plus. Et la légende prétend que Ray Charles a cru de longues années durant que Joe Cocker était noir comme lui.

À peine sorti, le premier album du petit de Sheffield est un triomphe. Il contient une reprise incroyable d'un morceau anodin des Beatles, qu'il rend méconnaissable et sublime à la fois, With a Little Help From My Friends. Titre qu'il reprendra le dimanche 17 août 1969. Il est 15 heures, et avec ses musiciens du Grease Band, ce type hirsute, simplement vêtu d'un jean et d'un tee-shirt bariolé, entame son moment de bravoure sur la scène de Woodstock. 

Sur scène, Joe Cocker agite ses mains dans tous les sens, imitant la guitare ou la batterie, comme pris de convulsions rythmiques, les traits défigurés par sa performance vocale, possédé. Une apparition presque choquante dans son authenticité, une sorte de Janis Joplin au masculin. Autant les Beatles étaient sceptiques sur son idée de reprendre With A Little Help From My Friends, autant Paul McCartney ne tardera pas à lui rendre hommage. "Il a transformé la chanson en hymne soul, nous lui sommes éternellement reconnaissants", déclarera-t-il. Ainsi transfiguré, le titre se classe numéro 1 en Angleterre.

Revanche et déchéance du gosse de Sheffield

Pour Joe Cocker, c'est une sacrée revanche sur le destin. Lui qui, quelques mois plus tôt, réparait les tuyaux de Sheffield pour une compagnie de gaz, confectionne désormais des tubes pour le monde entier. Jamais il n'oubliera ses origines modestes. Mais c'est bien cela le problème : devenu star quasiment du jour au lendemain, il est emporté un peu malgré lui dans le cirque du rock business.

En 1970, quelques mois après Woodstock, alors qu'il ne demande qu'à se reposer et à digérer sa nouvelle notoriété, il est contraint de se lancer dans une interminable tournée aux Etats-Unis : 48 villes seront visitées en quelques semaines, avec un groupe qui comporte, certains soirs, 30 musiciens sur scène. Résultat : un double album live, un documentaire intitulés Mad Dogs And Englishmen et un succès planétaire. Mais Joe Cocker est épuisé, dépassé, déprimé, alcoolique...et bientôt héroïnomane. 

Un retour chaotique

Deux ans durant, le chanteur éteint la lumière. Le retour est chaotique. En 1974, en pleine promotion de l'album ironiquement intitulé I Can Stand a Little Rain ("Je peux bien supporter une petite averse"), Joe Cocker est attendu sur la prestigieuse scène du Roxy, à Los Angeles. C'est le moment ou jamais de relancer sa carrière, de nombreuses stars ont fait le déplacement. Mais Cocker, dans un état déplorable, est incapable de sortir la moindre note. Et le concert est annulé. Dommage, car le disque est bon, notamment un morceau, le plus célèbre mais aussi le plus touchant, You Are So Beautiful.

You Are So Beautiful va se classer numéro 5 aux Etats-Unis, désormais pays d'adoption de Joe Cocker, celui où ses fans sont les plus nombreux. Logique pour cet admirateur absolu de Ray Charles et des grands bluesmen. Heureusement aussi, car le chanteur a contracté des dettes colossales vis-à-vis de sa maison de disque, et ce sont les concerts et les apparitions télévisées qui lui permettent de garder la tête hors de l'eau (mais pas toujours de l'alcool).

Cocker fait son cinéma

Alors qu'on pense que tout est fini pour lui au début des années 1980, Joe Cocker découvre un nouveau filon : les chansons pour le cinéma. Une résurrection commerciale, à défaut d'être artistique. N°1 en 1982 pour la bande-originale du film Officier et Gentleman, le chanteur finit disque de platine quatre ans plus tard pour 9 semaines et demie. Avec l'inoubliable scène de strip-tease de Kim Basinger sur le morceau You Can Leave Your Hat On.

La boucle est bouclée en 1987 avec une robuste reprise de son héros, celui qu'il écoutait adolescent avec son transistor sous l'oreiller, celui qu'il imitait dans les clubs ouvriers de Sheffield au début des années 1960. Celui, aussi, qui l'a adoubé un soir à la télé en disant que la voix de l'Anglais était une extension de la sienne. Ray Charles est revisité par Joe Cocker sur Unchain My Heart.

A la fin des années 1980, Joe Cocker a gagné le combat le plus dur de sa vie. Il est redevenu une référence, demandé partout et célébré comme tel. Il a vaincu ses démons, trouvé l'amour auprès de sa femme Pam Baker et s'installe dans le Colorado. Il y fera construire un ranch quelques années plus tard, où il cultivera toutes sortes de tomates du monde entier. 

Les derniers honneurs du plus grand bluesman anglais

C'est aussi le moment des honneurs : il joue pour le Jubilé de la Reine Elisabeth, est fait officier de l'Empire britannique, puis citoyen d'honneur de la ville de Sheffield, là où tout avait commencé. Son dernier album studio, Fire It Up, "allume-le", sort en 2012. Deux ans avant sa mort, à l'âge de 70 ans, des suites d'un cancer du poumon. 

"Il était sans doute le plus grand chanteur de soul et de blues que l'Angleterre ait enfanté", dira son manager, résumant l'avis de ses millions de fans dans le monde, à commencer par les deux derniers Beatles encore en vie, Paul McCartney et Ringo Starr, autrement dit le compositeur et le chanteur du fameux With A Little Help From My Friends qu'ils avaient prêté à Joe Cocker avec le succès que l'on sait.