Woodstock, 50 ans après : Crosby, Stills, Nash and Young, carré d'as

Crosby, Stills, Nash and Young
Crosby, Stills, Nash and Young étaient les meilleurs ennemis de l'histoire de Woodstock. © Capture d'écran YouTube
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Jean-François Pérès
Tout l'été, Europe 1 revient sur les artistes qui ont incarné la révolution Woodstock lors de ce festival iconique, en 1969. Dans ce quatorzième épisode, Jean-François Pérès s'intéresse à Crosby, Stills, Nash and Young, "supergroupe" composé de quatre pointures de la musique.

Il y eut un avant, il y eut un après. Il y a 50 ans, la vague Woodstock submergeait le monde. Europe 1 vous fait revivre, à l'heure des festivals de l'été, l'histoire de cette révolution, non seulement par ce qu'elle a apporté, mais aussi par ceux qui l'ont incarnée. Aujourd'hui, Crosby, Stills, Nash and Young.

Supergroupe de superstars

C'était sans doute le groupe le plus attendu de tout le festival. Ou plutôt, le "supergroupe", comme on appelait à l'époque Crosby, Stills, Nash and Young, quatuor aussi génial qu'hétéroclite. Lundi 18 août 1969, il est 4 heures du matin lorsque ce carré d'as monte sur la scène de Woodstock. Il y a là David Crosby, ancien membre des Byrds, aussi irritant qu'indispensable, Stephen Stills, guitariste prodige à la voix de bluesman et Graham Nash, mélodiste anglais qui a connu le succès avec The Hollies. Tous les trois sont devenus des légendes trois mois plus tôt, grâce à un album touché par la grâce, gorgé de délicieuses harmonies vocales, qui portent leurs noms.

Pour ce qui n'est que son deuxième concert, le trio devient quatuor. Un Canadien bougon mais génial l'a rejoint. Il s'appelle Neil Young, vient du même groupe que Stephen Stills, le trop méconnu Buffalo Springfield, et va donc ajouter son nom à ceux de ses trois comparses. Pour les 400.000 festivaliers, Crosby, Stills, Nash and Young entonne Wooden Ships, l'histoire de deux survivants après l'apocalypse nucléaire.

Ce superbe morceau figure sur le triple album sorti après le festival. En revanche, il n'y a pas d'images à l'époque, Neil Young refusant obstinément d'apparaître dans le documentaire filmé. Le chanteur trouve hypocrite et déplacé de jouer davantage pour les caméras que pour le public présent. Déjà un signe des tensions qui allaient rythmer la vie de ce drôle de groupe, formé de quatre leaders aux personnalités aussi fortes que conflictuelles, tous bien décidés à poursuivre parallèlement leur carrière en solo.

Morceau de bravoure musical

Après Woodstock, à Laurel Canyon, sur les hauteurs de Los Angeles, et malgré les bisbilles, Crosby, Stills, Nash and Young vont travailler à un nouvel album. La pression est alors immense après le triomphe du premier, et il faudra des centaines d'heures de studio, selon Stephen Stills, pour le réaliser. Déjà Vu sort en mars 1970. Il est à la fois extraordinaire grâce au charisme de ses compositeurs, et frustrant, chacun semblant jouer sa carte personnelle au détriment de l'ensemble.

Deux mois plus tard, un événement tragique va tout bouleverser. Dans l'Ohio, la police tue quatre étudiants de l'Université de Kent qui protestaient pacifiquement contre l'intervention américaine au Cambodge. Au total, 67 balles sont tirées en 13 secondes. Neil Young entre immédiatement en studio et compose un brûlot avec ses trois compères. Selon lui, David Crosby pleurait à la fin de l'enregistrement. La chanson sort quelques jours plus tard, assortie d'une pochette qui reproduit l'article 1 de la Constitution américaine garantissant la liberté d'expression et de rassemblement. Encore aujourd'hui, ce titre, Ohio, reste l'un des moments les plus puissants de la génération Woodstock.

Toute rage dehors, Ohio devient instantanément un classique de la contre-culture américaine. Son riff de guitare est imparable, son refrain martelé un slogan politique. "Four dead in Ohio", "quatre morts en Ohio", chantent les engagés avant de citer nommément le président, Richard Nixon, et de l'associer à cette police qui tue. Rarissime à l'époque. Pour beaucoup, ce morceau de bravoure est le plus grand protest song jamais écrit. Il sera censuré par de nombreuses radios, ce qui ne l'empêchera pas d'entrer dans le Top 20.

Pression, égotrips et cocaïne

Ses auteurs sont bombardés, un peu malgré eux, porte-voix de cette jeunesse révoltée. Les hippies se retrouvent complètement dans ces textes qui parlent d'amour à trois, d'éducation par les enfants plutôt que par les parents. La popularité de Crosby, Stills, Nash and Young explose. Ils font salle comble partout, dans des salles de plus en plus grandes, et c'est bientôt trop. Trop de pression, trop d'ego, trop de drogues aussi, comme c'était à craindre. Le quatuor jette l'éponge peu après la sortie de l'album.

Chacun vaque alors à sa carrière solo. C'est un triomphe pour Neil Young et, dans une moindre mesure, pour le très instable Stephen Stills. Quant à David Crosby et Graham Nash, ils préfèrent unir leur force la plupart du temps, y compris dans l'amour commun qu'ils portent à Joni Mitchell, leur muse blonde canadienne. Nash trousse également quelques mélodies mémorables et tout aussi engagées que celles de Neil Young, comme Chicago, charge directe contre les autorités qui répriment les rassemblements pacifistes. La petite cousine d'Ohio est un grand succès pour l'Anglais, en solo comme avec ses trois comparses sur le double disque en public Four Way Street.

La suite de l'histoire s'écrit au fil des incessantes disputes entre les membres du groupe. Le plus cinglant est Neil Young, qui ne cache pas son mépris pour des musiciens qu'il considère comme des losers et prend ses distances dès qu'il le peut. Pendant que David Crosby plonge le nez dans la cocaïne, Stephen Stills mélange alcool et poudres diverses, devient paranoïaque et violent malgré son mariage avec la chanteuse française Véronique Sanson. Quant à Graham Nash, désabusé, il s'installe à Hawaï et compte les points.

L'heure des retrouvailles

En 1974, les quatre musiciens acceptent de se reformer pour une tournée des stades américains. Jamais on n'avait réuni autant de monde pour écouter de la musique : plus d'un million de personnes se joignent aux retrouvailles. Des grandes messes de plus de trois heures où sont joués une quarantaine de morceaux chaque soir. Le groupe remplira même Wembley, à Londres. Mais les problèmes relationnels sont décidément insolubles.

Il y aura encore deux albums à quatre, dans les années 1980 et 1990. De bien pâles copies des chefs-d'oeuvre précédents. D'autres enregistrements à deux ou trois, de plus en plus dispensables, seront aussi faits. Mais rien n'effacera la magie des guitares et des voix de Crosby, Stills, Nash and Young, les meilleurs ennemis de l'histoire du rock. Quatre monstres de la musique contemporaine, toujours actifs un demi-siècle après leurs débuts nocturnes sur la scène de Woodstock.