Formula one Netflix 1:30
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La troisième saison de "Formula One", série documentaire sur la Formule 1, sort ce vendredi sur Netflix. Grâce à une scénarisation au cordeau, un accès inédit aux coulisses d'un sport jusqu'ici très fermé et une galerie de personnages hauts en couleurs, le programme a (r)amené bien des spectateurs vers les Grands Prix. 
DÉCRYPTAGE

Pour bien des familles françaises, même celles qui ne vont pas à la messe, le dimanche est un jour de rituel. Certaines ont opté pour le poulet rôti, toujours découpé de la même façon (dont la meilleure, en commençant par les sot-l'y-laisse), d'autres pour la promenade digestive, d'autres encore pour le journal télévisé. Et pendant des années, parmi les foyers bercés par la voix de Claire Chazal sur TF1, il y en eut pour laisser la télévision allumée dans la foulée sur un Grand Prix de Formule 1. Un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître et dont Marianne, 26 printemps au compteur, n'a pas gardé des souvenirs flamboyants. "Il n'y avait même pas le son", se souvient-elle.

"Je connaissais Lewis Hamilton, et c'est tout"

Des années plus tard, Marianne avale tous les Grands Prix, ou presque, sur Canal+. La chaîne cryptée a récupéré les droits de la F1 en 2013, et a gagné l'attention de la jeune femme l'année dernière seulement. La torpeur silencieuse du dimanche familial a laissé place à l'excitation devant les commentaires du présentateur vedette Julien Fébreau. Et si, aujourd'hui, Marianne "monte le volume" et est au "rendez-vous au premier virage", c'est grâce à une série documentaire. Diffusée sur Netflix depuis 2019, Formula One: Drive to survive (Pilotes de leur destin en français), dont la troisième saison sort ce vendredi, a conquis des milliers de spectateurs. Le programme, qui suit les dix écuries et vingt pilotes de F1 sur une saison entière à chaque fois, a converti bien des néophytes aux joies des crissements de pneus et des dépassements dangereux. Et remis certains spectateurs égarés sur le chemin des courses folles.

" T'as envie de les voir gagner à peu près tous, sauf Max Verstappen. "

Juliette reconnaît sans peine que son niveau de connaissance de ce sport automobile était "inexistant" avant de regarder Formula One avec deux de ses colocataires. "Je connaissais Lewis Hamilton et le mot Grand Prix. Et c'est tout." Après deux saisons englouties, la voilà capable de citer plusieurs pilotes, au fait des diverses stratégies, et très investie émotionnellement. "T'as envie de les voir gagner à peu près tous, sauf peut-être Max Verstappen [pilote pour Red Bull, ndlr]. T'as envie que l'écurie de merde fasse enfin mieux que la dernière fois", explique la jeune femme de 28 ans, "super triste" quand le Français Esteban Ocon s'est fait virer de l'équipe Force India fin 2018.

"Ils réussissent à te tenir en haleine, comme Game of Thrones à l'époque"

Le sort des pilotes est d'ailleurs ce qui motive bien des afficionados de Formula One. "Quand tu regardes la F1 à la télé, tu vois juste des voitures qui font du bruit, vont très vite, et changent leurs pneus encore plus vite", rappelle Marianne. "Ce qui m'a plu avec la série Netflix, c'est que ça humanise le sport. Tu sais vraiment qui se trouve sous chaque casque." Et à quoi il ressemble. "Mon côté chauvin me pousse vers Pierre Gasly, mon côté groupie vers Daniel Ricciardo, qui a un très joli sourire." Elsa, 31 ans, a aussi fondu pour l'Australien, successivement chez Red Bull puis Renault. "Il dégage un truc hyper sympa, hyper proche, ça m'a plu." Verdict de Juliette : "Ces gens sont quand même physiquement au-dessus de la moyenne."

Mais Elsa reconnaît aussi avoir été séduite par l'aspect "très scénarisé" de Formula One, avec des épisodes centrés sur un pilote ou une écurie, et non chronologiques. "C'est super bien monté", pointe la trentenaire, grande amatrice de documentaires sportifs. "Ils réussissent à te tenir en haleine, comme Game of Thrones à l'époque."

Ton univers impitoyable

Si la série transforme les sportifs en personnages, et leurs relations en arcs narratifs dignes des meilleurs épisodes de Dallas, elle réussit surtout le tour de force de mettre en avant des quasi inconnus. "Là où c'est fort, c'est sur les personnages secondaires", lance Rémi, 42 ans et une solide connaissance de la F1, qui avait "complètement lâché" ce sport à force de voir Mercedes tout écraser sur son passage. "Sur Netflix, j'ai appris à connaître les autres pilotes, comme Nico Hülkenberg, ou les directeurs d'écurie." Lui qui a découvert la série grâce à une collègue "hyper enthousiaste alors qu'elle n'y connaissait rien" a fini par la "binge-watcher à mort pendant le premier confinement" et s'est pris de passion pour Christian Horner, à la tête de RedBull. "C'est un requin sans pitié qui sort avec l'ex-Spice Girl Geri Halliwell, il est incroyable."

" J'imaginais ça plus feutré alors qu'ils se rentrent vraiment dedans. "

Voir ses passes d'armes avec Cyril Abiteboul, le directeur général de Renault, à propos des achats de moteur, fait partie des moments intenses de la première saison de Formula One. De même, Günther Steiner, leur homologue chez Haas, accent à couper au couteau et caractère bien trempé, s'est imposé comme un personnage récurrent. "La série m'a appris plein de choses, pas vraiment sur le fonctionnement de la F1, que je connaissais, mais sur le monde sans pitié que ça peut être", témoigne Rémi. "J'imaginais ça plus feutré, alors qu'en réalité ils se rentrent vraiment dedans."

Un accès inédit aux coulisses

"C'est le casting qui fonctionne bien. Les ingénieurs, les chefs d'équipe, tous s'expriment vraiment, laissent tourner la caméra", abonde Daniel Ortelli. Le journaliste a couvert la F1 pour l'Agence France Presse depuis des années et s'apprête à publier Lewis Hamilton, la route du champion (City Éditions), une biographie de l'égérie de Mercedes. Le fait que des néophytes se passionnent pour la série ne l'étonne pas. "L'authenticité surprend les gens. Pour le grand public, la F1 c'était la frime, le glamour. Alors qu'on le voit dans Formula One, c'est énormément de travail, pas seulement de l'argent."

Car entre les meilleurs tours de piste, Netflix montre les briefings interminables, les yeux rivés sur les statistiques pour essayer de comprendre pourquoi tel voiture roule plus vite qu'une autre, pourquoi tel moteur se révèle décevant. "Ils ont eu des accès aux équipes que personne n'avait jamais eus auparavant", reconnaît Daniel Ortelli. "Nous, les journalistes, on n'a jamais écouté des discussions entre les managers et les pilotes. Là, on a vraiment des engueulades, des propos intéressants."

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Ce que les bonnes séries partagent aussi avec les sports fascinants, ce sont les losers magnifiques. "Au début de la saison 2, on voit les coulisses de l'écurie Haas, équipe américaine historique", rappelle le reporter. "Et on comprend bien qu'ils ne gagneront jamais, car ils n'en ont pas les moyens." Les heurts et malheurs de Haas, Renault, ou encore Williams, autre écurie britannique qui connaît tout au long des deux saisons déjà sorties une longue descente aux enfers, ont convaincu Jonathan de retrouver le chemin des Grands Prix. "Ça a complètement relancé mon intérêt pour la F1", explique le jeune homme, dont les souvenirs des fameux rituels du dimanche devant TF1 étaient "lointains". "Ça m'a rappelé l'intérêt sportif et stratégique. Car au-delà du fait que Lewis Hamilton gagne tout, tu te souviens que même la quatrième place est hyper importante pour les écuries."

"Ne pas suivre l'actualité pour ne pas se faire spoiler"

Comme Rémi, Jonathan s'est mis à regarder quasiment tous les Grands Prix. À suivre les comptes de pilotes sur les réseaux sociaux. "On a une conversation messenger dédié avec deux amis." Elsa, elle, ne résiste pas à l'idée de live-tweeter une course de temps en temps, quand Marianne a entrepris de convertir tout son entourage. "Sur la dizaine de personnes que j'ai convaincues, sept sont des filles", calcule rapidement celle qui, pour la sortie de la saison 3, prévoit un dîner avec deux nouvelles amies à catéchiser. 

" L'amour de la F1 a pris le pas sur la série. "

Mais apprécie-t-on autant la série quand on suit la Formule 1 ? Tout le monde n'a pas la même religion. "J'essaie de ne pas suivre l'actualité, car je n'ai pas envie de me faire spoiler", tranche Juliette, qui a "entendu parler" de l'accident de Romains Grosjean sur le Grand Prix de Bahreïn, fin 2020, mais attend d'en savoir plus sur Netflix. A contrario, Marianne assume : "l'amour de la F1 a pris le pas sur la série. Je sais que certains préfèrent garder le suspense, moi je suis passée de l'autre côté." Tellement de l'autre côté que la jeune fille a acheté des places pour le Grand Prix du Castellet cet été. 

"Quand tu commences à regarder en vrai, tu as peut-être moins de surprises", reconnaît Elsa. "Mais en même temps, on n'a pas tout vu. J'ai hâte d'avoir le témoignage de Romain Grosjean dans la saison 3." Pareil pour Rémi, qui espère "des séquences fortes" aussi sur la remarquable victoire de Pierre Gasly à Monza, en Italie. 

"C'est une nouvelle époque de la F1"

Ce qui est certain, c'est que la série a changé la manière de voir et de consommer ce sport automobile. Une stratégie assumée par Liberty Media, la société américaine propriétaire de la F1 depuis 2017, et qui s'était retrouvée sous le feu des critiques en acceptant de collaborer avec Netflix. "Sur les réseaux sociaux, les chiffres sont en hausse", pointe Daniel Ortelli. Les vues ont bondi de 48,3% en 2019 par rapport à l'année précédente, la F1 étant alors la marque sportive qui a le plus progressé en nombre de followers sur Facebook, Twitter, Instagram et YouTube. Formula One fait partie d'une stratégie plus globale, mais elle y a grandement contribué.

Pour Daniel Ortelli, "cela crée une nouvelle catégorie de spectateurs qui, même s'ils n'ont pas la télé payante, vont suivre les courses d'une autre manière. Cela attire de nouveaux clients. C'est une nouvelle époque de la F1 et je trouve ça fascinant."