Quel est ce laboratoire de Wuhan d'où pourrait être parti le coronavirus ?

Le laboratoire P4 de l'Institut de virologie de Wuhan a été construit en coopération entre l'Institut Merieux de Lyon et l'Académie chinoise des sciences.
Le laboratoire P4 de l'Institut de virologie de Wuhan a été construit en coopération entre l'Institut Merieux de Lyon et l'Académie chinoise des sciences. © Hector RETAMAL / AFP
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Ariel Guez , modifié à
Selon plusieurs médias américains, le laboratoire P4 de l’Institut de virologie de Wuhan pourrait être à l'origine de la pandémie du coronavirus. Une "thèse explosive" qui soulève plusieurs questions sur ce laboratoire dans lequel la France a investi de l'argent.
DÉCRYPTAGE

C’est une thèse "explosive", "avec quelques indices" mais "sans preuve", comme l’a qualifiée sur Europe 1 l’historien François Godement. Et si le Covid-19 avait pour source le laboratoire P4 de l’Institut de virologie de Wuhan ? Car c’est l’une des grandes inconnues de la pandémie qui a contaminé deux millions de personnes autour du globe et causé plus de 140.000 morts : on ne sait toujours pas précisément d’où est parti le coronavirus. Mais les pistes commencent à converger vers un lieu précis, puisque mardi, le Washington Post et la chaîne télévisée Fox News ont publié plusieurs éléments accréditant un départ du virus depuis le laboratoire P4 de l’Institut de virologie de Wuhan. Un lieu de haute sécurité où des virus mortels sont étudiés. Retour sur l'histoire de ce laboratoire, né il y a plus de quinze ans en étroite collaboration avec la France. 

Une naissance à Wuhan après l'épidémie de SRAS en 2003

L'histoire du laboratoire commence bien avant son ouverture en 2015. Douze ans plus tôt, l’épidémie de SRAS, qui est partie Chine et qui s’est rapidement propagée autour du globe, a inquiété le monde entier. Si bien qu’une fois le virus maitrisé, la France et la Chine ont signé le 9 octobre 2004 un accord en matière de prévention et de lutte contre les maladies infectieuses étrangères. La construction d’un laboratoire de classification P4, à Wuhan fait partie des objectifs fixés par les deux pays, une première pour la Chine. 

Deux ans après son ouverture, en février 2017, le laboratoire reçoit son accréditation "P4" par les autorités chinoises. Pour l’occasion, le Premier ministre français Bernard Cazeneuve se rend sur les lieux, accompagné de la ministre française des Affaires sociales et de la Santé Marisol Touraine, ainsi que d'Yves Lévy, qui est alors président de l’Inserm. Dans son discours, consultable en ligne, Bernard Cazeneuve explique que la France "mettra à la disposition de la Chine son expertise technique pour soutenir l’amélioration continue de la qualité et de la sécurité du laboratoire".

Des notes diplomatiques auraient lancé l’alerte en 2018 

Des termes qui ont une résonance particulière trois ans plus tard, puisque mardi 14 avril 2020, quelques mois après le début de pandémie de coronavirus, débutée à Wuhan, le Washington Post, journal de référence outre-Atlantique, publie un article qui accable le laboratoire. 

Le quotidien publie des notes diplomatiques datant de 2018 et qui prouvent que l’ambassade des États-Unis à Pékin, à la suite de plusieurs visites au sein de l'Institut de virologie qui abrite le laboratoire, a alerté par deux fois le département d'État américain sur les mesures de sécurité insuffisantes. À l’époque, le laboratoire étudiait les coronavirus sur les chauves-souris.

La France était-elle au courant de ces informations ? Sollicitée par Europe 1, la Direction générale de la santé n’a pas donné suite. 

Les États-Unis vont enquêter sur le laboratoire, fronde des dirigeants occidentaux contre Pékin

Mais la chronologie des communications des différents États pourrait laisser penser le contraire. Après la publication de l’enquête du Washington Post, le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo a réagi, affirmant que les États-Unis allaient mener "une enquête exhaustive sur tout ce que nous pouvons apprendre sur la façon dont ce virus s'est propagé, a contaminé le monde et a provoqué une telle tragédie".

Jeudi, le ministre britannique des Affaires étrangères Dominic Raab, a indiqué qu’il "ne fait aucun doute que tout ne peut pas continuer comme si de rien n’était et nous devrons poser les questions difficiles concernant l’apparition du virus et pourquoi il n’a pas pu être stoppé plus tôt". Le jour même, dans un entretien au Financial Times, Emmanuel Macron déclarait, à propos de la Chine, que "des choses se sont passées qu'on ne sait pas".

Face au front de dirigeants qui commençaient à critiquer la gestion chinoise du coronavirus, Pékin a appelé à l’unité, rapporte l'AFP. "Il est impératif que tous les pays s'unissent pour combattre l'épidémie et gagner la guerre" contre le Covid-19, a indiqué devant la presse un porte-parole de la diplomatie chinoise, Zhao Lijian.

Le virus aurait été étudié dans le laboratoire, sa "fuite" accidentelle. 

Dans son enquête, le Washington Post souligne aussi que le laboratoire est à quelques centaines mètres du marché aux fruits de mer, berceau officiel de la pandémie. Il est aussi à côté de l'hôpital où ont été repérés les premiers cas de contamination. Cette version a le mérite de résoudre plusieurs énigmes, et notamment d'expliquer pourquoi des animaux, qui vivent à 1.000 kilomètres de Wuhan, se sont retrouvés là où l'épidémie a commencé.

Fox News, à la différence des thèses complotistes qui ont contaminé les réseaux sociaux depuis décembre souligne l'AFP, évoque un virus naturel, étudié dans le laboratoire. Sa "fuite" ne serait pas volontaire, mais due aux mauvais protocoles de sécurité. Dans cette hypothèse, le "patient zéro" serait donc un employé de l'Institut de virologie de Wuhan, qui aurait propagé le virus dans la population après avoir été accidentellement contaminé.

Un autre indice que le virus provient du laboratoire est le fait que "la Chine ne donne pas accès aux premiers spécimens du virus et ce refus persiste à ma connaissance", expliquait vendredi le spécialiste de la Chine pour l'Institut Montaigne François Godement au micro d’Europe 1. "Ces éléments peuvent faire penser que la Chine a quelque chose à cacher", affirme-t-il, tout en nuançant d'emblée : "Mais comme c’est dans la nature du régime de cacher les choses, ce n’est pas forcément une preuve."

Aucune preuve n’existe, la Chine appelle à l’unité face au Covid-19

Pour l’instant, aucune preuve n’existe. Interrogé jeudi, un porte-parole de la diplomatie chinoise, Zhao Lijian, a donc démenti cette possibilité, expliquait l'AFP. "De nombreux experts médicaux réputés dans le monde estiment que l'hypothèse d'une soi-disant fuite n'a aucune base scientifique", a-t-il déclaré, estimant que l'origine du virus devait faire l'objet d'études de spécialistes. 

Un investissement français d’un million d’euros en 2017 ?

Pourtant, le projet du laboratoire P4 de Wuhan avait tout pour séduire. La France espérait beaucoup de ces installations et de la coopération entre les deux pays. Notamment entre le laboratoire chinois et celui P4 de Lyon, dirigé par Hervé Raoul. En octobre 2017, ce dernier expliquait que la France allait développer une "collaboration privilégiée". 

"Le Premier ministre a annoncé un budget d’un million d’euros pendant cinq ans pour cette coopération, qui devrait concerner une cinquantaine de scientifiques français, sous l’égide et le pilotage de l’Inserm". Sollicités par Europe 1, ni l’Inserm, ni la Direction générale de la Santé (DGS) n’ont pas donné suite. Mais, selon plusieurs médias, la coopération n’a jamais été effective, les Français hors-jeu et le projet final un fiasco.

Interrogée par nos confrères de 20 minutes sur la rumeur virale de ce laboratoire, la DGS répondait simplement fin janvier "qu’aucun élément ne permet d’accréditer les allégations liant la crise sanitaire en cours à l’existence à Wuhan d’un laboratoire P4".