"Rugby 20", dernier jeu de rugby en date, propose une expérience destinée surtout aux puristes du ballon ovale. 4:59
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Alors que le Tournoi des Six Nations redémarre, nous avons eu envie d'imiter les stars de l'ovalie avec un bon jeu de rugby. Mais, depuis plusieurs années, ce sport est le parent pauvre du jeu vidéo. Pourquoi un tel désamour entre la manette et le ballon ovale ? Tentative d'explication et illustration avec le dernier jeu en date : Rugby 20.

Un "crunch" pour commencer. Le Tournoi des Six Nations de rugby s'ouvre ce week-end avec un alléchant France-Angleterre. Et comme la Coupe du Monde de foot ravive la flamme des joueurs de FIFA, le Six Nations ravive notre envie d'un jeu de rugby. Claquer des drops comme Jonny Wilkinson, faire imploser la mêlée adverse ou s'envoler vers l'aile en mode "French Flair" : il y a de quoi s'amuser manette en main. Mais ce n'est pas aussi simple. Car, pour cela, il faudrait commencer par avoir un bon jeu vidéo de rugby. Et malheureusement, depuis quelques temps, les bons jeux de rugby sont aussi rares que les titres internationaux du XV de France.

Rugby et jeu vidéo, incompatibilité chronique

Pourtant, les jeux de sport sont l'un des genres les plus prolifiques sur console. Le foot (FIFA et PES), le basket (NBA 2K), la Formule 1 (F1 2019), dans une moindre mesure le tennis (Virtua Tennis) et même le football américain (Madden NFL) sont servis en simulations de bonne qualité. Mais le rugby, c’est la catastrophe. Même si, des jeux de rugby, il y en a : neuf en dix ans en France,. Sauf que ce ne sont pas des chefs d’œuvre. Sur "jeuxvideo.com", le site de référence en la matière, le mieux noté hérite d’un 14/20. Mais sinon, on est plus sur des 10, des 9, voire des 7 sur 20.

Comment expliquer une telle débâcle ? D'abord car le rugby n’est pas très compatible avec le jeu vidéo. C’est un sport compliqué, avec beaucoup de règles et des phases de jeu très diverses. Entre les phases arrêtées, comme la mêlée ou la touche, et le jeu en mouvement, il y a presque deux mécaniques de jeu différentes. Donc arriver à compiler tout ça en un jeu, c’est difficile. "Le rugby est un sport de contact, avec beaucoup d'interactions. Et c'est ce qui est le plus compliqué à reproduire dans un jeu vidéo. Idem pour les rucks et les mêlées, qui jouent en vrai sur l'intensité, et qu'on a du mal à dupliquer en termes de sensations", reconnaît Clément Nicolin, responsable produit chez Bigben, qui édite des jeux de rugby depuis quelques années.

"Rugby 08" reste l'un des meilleurs jeux de rugby jamais offerts aux joueurs sur console.

Et puis, il y a une autre donnée, financière. Certes, le rugby est très populaire en France, en Angleterre, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Mais il est quasiment inexistant dans les marchés qui comptent pour le jeu vidéo : les États-Unis, la Chine et le Japon (même si la passion grimpe en terre nippone). Le jeu vidéo étant d'abord une industrie, aucun éditeur ne va investir des sommes colossales pour développer un jeu de rugby qui ne se vendra qu’à quelques dizaines de milliers d’exemplaires. Electronic Arts l'a fait, avec un certain succès dans les années 2000, avant d'abandonner à cause de ventes trop faibles.

Rugby 20, retour dans la mêlée

Un constat décevant que nous avons voulu mettre à l'épreuve et ça tombe bien : Rugby 20, dernier né des jeux de rugby, vient de sortir (sur PS4, Xbox One et PC). Commençons par souligner qu'il s'agit d'un opus 100% français puisqu'il a été réalisé par le studio parisien Eko Software et qu'il est édité par Bigben Interactive, l'un des grands acteurs du paysage vidéoludique tricolore. Il faut s'en féliciter et aussi poser d'emblée ce constat : la comparaison avec FIFA, édité par le géant américain Electronic Arts, n'aurait aucun sens.

Malgré tout, le premier contact avec Rugby 20 est aussi dur qu'un placage d'un deuxième ligne à pleine vitesse. Passés des menus assez pauvres, on lance notre premier match avec l'impression d'être revenu cinq ou dix ans en arrière. Les graphismes sont terriblement aléatoires, passant du satisfaisant lors des phases de jeu vues de derrière à tristement vides pour les décors et carrément terrifiants lors des gros plans sur les joueurs. La ressemblance avec les modèles en chair et en os n’est pas frappante, certains joueurs étant juste laids.

600 x 300

Même déception en ce qui concerne l'ambiance du match. Peu d'animations, impossibilité de contrôler les ralentis : les matches sont très linéaires, cela manque de dramatisation. Et les commentaires n'aident pas à se plonger dans l'atmosphère. On retrouve en cabine Éric Bayle et Thomas Lombard, qui officient sur Canal+ pour le Top 14. Mais leurs interventions sont hachées et impersonnelles. "Ils vont disputer la mêlée… Il sort le ballon… Le joueur est plaqué… Il dégage son camp…". Voilà le genre de commentaires que l'on entend. Les noms de joueurs et les équipes ne sont parfois pas mentionnés pendant plus de 30 secondes. L'immersion en prend un coup.

Dommage, car le gros point fort de Rugby 20, c’est justement le contenu, à savoir les joueurs et les équipes. Alors que c'était le point faible des jeux de rugby par le passé, cet opus rassemble les licences du Top 14, de la Pro D2, de la Premiership anglaise ainsi que des provinces galloises, irlandaises et italiennes. Dans ces championnats, on joue donc avec les vraies équipes, les vrais joueurs et les vrais maillots. Cela peut paraître évident pour les joueurs de FIFA mais au rugby, c'est un exploit. 

La donne est en revanche un peu différente pour les sélections nationales. Si on retrouve avec plaisir le XV de France officiel, ainsi que la plupart des grosses équipes comme l'Irlande, le Pays de Galles et l'Australie, Rugby 20 a dû bricoler de "fausses" équipes pour l'Angleterre, la Nouvelle-Zélande, l'Argentine et d'autres sélections. "Contrairement au foot où la FIFA regroupe tous les droits, au rugby il faut négocier championnat par championnat et équipe nationale par équipe nationale. C'est fastidieux. On a des personnes en interne qui sont dédiées uniquement à ça", explique Clément Nicolin, de Bigben.

Gros avantage de "Rugby 20" : les licences officielles des équipes du Top 14.

Un jeu pour les fans absolus de rugby

Quid du jeu en lui-même ? Là encore, Rugby 20 ne suscite pas l'émerveillement, la faute à un manque de fluidité embarrassant. Là où Rugby 08 et Jonah Lomu Rugby Challenge, les deux références des jeux de rugby, compensaient le manque de contenu ou les graphismes moyens par un gameplay accessible et fun, Rugby 20 opte pour un réalisme jusqu’au-boutiste en poussant le curseur à fond sur chaque phase de jeu. Résultat, les passes, les plaquages, les mêlées sont très heurtés. On a l’impression d’enchaîner des mini-jeux et pas toujours de disputer un match de rugby.

"On a choisi cette voie réaliste, avec plein d'aspects tactiques que les joueurs de rugby pratiquent en club et vont pouvoir retrouver dans le jeu. Tous les mouvements des joueurs ont été claqués sur ceux des joueurs grâce à la motion capture pour apporter de la crédibilité", précise Clément Nicolin. Conséquence de ce choix, Rugby 20 s'adresse surtout aux puristes de l'ovalie. Dire que le jeu est compliqué à prendre en main serait un euphémisme. Il y a tellement de choses à assimiler : les passes, les touches, les combinaisons, le jeu au pied, les placages… Il y a de quoi en avoir le tournis lors des premiers matches, même pour un gamer fan de rugby.

Dans "Rugby 20", les tactiques collent au plus près à la complexité du rugby.

"On ne peut pas faire un jeu pour tout le monde. Avec Rugby 20, on vise la communauté des fans de rugby. Ce choix rend la prise en main d'autant plus difficile quand on ne connaît pas bien ce sport", assume Clément Nicolin. Néophytes, mieux vaut donc vous abstenir. En revanche, si vous cherchez désespérément un jeu de rugby pour imiter vos idoles, et que vous êtes indulgent, vous serez servi : stratégie d'avant-match, définition du style de jeu, mise en pratique des sautées, croisées et redoublées, Rugby 20 est riche de sa complexité.

Et c'est là que se niche le potentiel du jeu de Bigben. Certes, Rugby 20 n'est pas ce qu'on pourrait appeler un bon jeu. Mais cela ne veut pas dire qu’on ne s’amuse pas. Parfois, les mauvais jeux sont ceux sur lesquels on use le plus ses joysticks. Malgré ses défauts, Rugby 20 peut se révéler assez sympa une fois les bases acquises, notamment entre amis. Le challenge proposé par le jeu et la richesse de son contenu (en plus des matches amicaux, il est possible de disputer des tournois, de se lancer dans un mode carrière ou de bâtir une équipe de A à Z). Le problème, c’est le prix : 60 euros pour un jeu pas totalement abouti, c’est beaucoup trop.

Notre avis sur Rugby 20 : des progrès, centimètre après centimètre

Troisième test pour Bigben après Rugby 15 et Rugby 18, ce Rugby 20 confirme les progrès faits dans le développement de cette franchise. Mais là où aimerait voir une formidable envolée, le jeu avance par petits tas, en mode "pick and go". Et il partait de tellement loin qu'il reste encore peu convaincant. Oui, il est possible de s'amuser sur Rugby 20. Mais uniquement à condition d'être un fan absolu du ballon ovale et de fermer les yeux sur les nombreux défauts du jeu.