Ouissem Belgacem évoque l'homophobie dans le foot pro : "Souffrir était ma seule option"

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Romain David , modifié à
Invité mercredi de la matinale d'Europe 1, l'ancien joueur de foot Ouissem Belgacem publie "Adieu ma honte", récit autobiographique dans lequel il évoque la difficulté pour un homosexuel de s'assumer et d'évoluer dans le milieu du foot professionnel. Selon lui, rien n'est fait pour combattre l'homophobie qui gangrène l'ensemble de l'institution.
INTERVIEW

Son témoignage est d'autant plus émouvant qu'il est rare. Dans Adieu ma honte, publié chez Fayard, l'ancien footballeur Ouissem Belgacem revient sur son parcours de jeune homosexuel confronté aux préjugés et à la violence, d'abord durant son enfance dans les quartiers difficiles, mais surtout en centre de formation, qu'il a intégré à 13 ans. Si les coming-out restent rares parmi les sportifs professionnels, ils sont quasi-inexistants dans le milieu du football, un sport au sein duquel le culte de la masculinité et les enjeux financiers ne laissent aucune place à la différence, selon l'ex-joueur, qui était invité mercredi de la matinale d'Europe 1.

Ouissem Belgacem aura attendu des années avant d'assumer sa sexualité. D'abord en raison de ses origines sociales, celles d'un musulman pratiquant qui a grandi en banlieue : "La société dans laquelle j'ai grandi, mon milieu, mon environnement ont voulu faire de moi un homo honteux et malheureux", explique-t-il. Et plus encore lorsqu'il a voulu se lancer dans une carrière de sportif professionnel, intégrant au début des années 2000 le centre de formation du Toulouse Football Club. "Quand j'étais ado en centre de formation, je n'avais pas forcément les armes psychologiques pour être prêt à faire face aux critiques. Ça n'aurait pas pu se passer dans la douceur et dans la bienveillance. Souffrir était ma seule option à l'époque."

Les banderoles homophobes...

Principale vitrine de cette homophobie dans le football : ces banderoles de supporters où les insultent s'étalent en lettres capitales, et qui défraient régulièrement la chronique. "Il ne faut pas banaliser les insultes homophobes. J'entends souvent des fans me dire 'je dis sale pédé comme je dirais sale con'. Mais pour moi, ça ne fait pas avancer les choses", explique Ouissem Belgacem. "On est en 2021, il y a plein de mots qu'il faut bannir. Il y a des mots ultra racistes qu'on n'utilise plus et je pense qu'il y a aussi des termes ultra homophobes dont on peut se passer. Il y a plein d'autres leviers qu'on peut utiliser pour exprimer sa colère ou pour motiver les troupes", s'agace-t-il.

… l'arbre qui cache la forêt

Mais selon-lui, ces phénomènes de stade font aussi écho à une homophobie profondément enracinée, dans la hiérarchie même du football professionnel, depuis les vestiaires jusqu'aux plus hautes instances et contre laquelle aucune mesure de sanction ou de prévention n'est prise. "Non, ça n'avance pas. Non, ça ne va pas mieux. On a toujours aucun coming-out en France et je n'entends pas beaucoup de discours inclusifs", constate l'ancien joueur. "Je vois quelques bribes d'initiatives, des brassards arc-en-ciel et autres, mais pour moi, ça n'a strictement aucun effet. Il y a encore énormément à faire au niveau éducation, pas seulement celle des jeunes, mais aussi avec les staffs, les coachs, les présidents de clubs."

"Des brigades anti-gay"

Son récit dénonce le culte de la virilité organisé par les encadrants et les sponsors autour des joueurs pro, qui éclipse toute altérité possible, ce qui finit par générer des phénomènes profonds de rejet. C'est ainsi que, pour se couler dans le moule, se forger une carapace et échapper aux ragots de vestiaires, Ouissem Belgacem avoue avoir lui-même cédé à l'homophobie, parfois de la manière la plus violente qui soit. "Descendre dans la rue et frapper quelqu'un juste pour ce qu'il est... J'ai tristement pris part à ce genre de pratique dans une période de ma vie où j'étais vraiment perdu", avoue-t-il.

"Prendre part à ces brigades angi-gay était une couverture ultime qui effaçait tout soupçon.", explique-t-il. "À l'époque, les homos dans la rue représentaient la manifestation physique des problèmes que j'avais dans ma tête. Et c'était aussi un moyen de me battre contre moi-même. C'est impardonnable, inexcusable…"

Un silence écrasant

Au-delà des comportements, Ouissem Belgacem estime que la pression de l'argent contribue également à maintenir une certaine omerta. "Les footballeurs représentent de tels enjeux financiers... Pour qu'une équipe soit performante, il faut qu'elle soit stable. et un footballeur qui serait amené à faire son coming-out, de facto, va un peu perturber le vestiaire. Et ça, je suis sûr que les entraîneurs ou les présidents de clubs ne vont pas le vouloir parce que si une équipe joue le titre, la montée ou essaye de se maintenir, elle a besoin de toutes ses armes", explique-t-il. 

Selon lui, le poids du secret finit par avoir un impact sur les performances des athlètes concernés. Lui-même a fini par quitter la formation au seuil de ses 20 ans. "Dans le sport de haut niveau, quand on veut percer, il faut avoir des qualités techniques, athlétiques, physiques, etc. Mais c'est surtout un exploit mental. Et moi, j'étais tellement obsédé par l'homophobie, le fait de changer ma sexualité, que ça m'a pris une débauche d'énergie que je n'ai pas mise dans mes entraînements, dans mes matchs, dans mes temps de repos", déplore-t-il. "Footballistiquement, je n'ai pas pu me développer comme les autres. Ça n'était pas possible."